L'ange du diable [Sous contrat d'éditions chez ELIXYRIA]

Prologue

Calista 16 ans

Sur la route qui mène au supermarché, ma mère me raconte sa journée tandis que j'observe, avec des étoiles dans les yeux, le paysage qui défile. Tout est différent sur terre. Les odeurs, les décors, l'ambiance en général.

Au paradis, tout est très coloré. Comme si chaque détail était exacerbé.

— Et toi, comment s'est passé ton après-midi ? me demande maman.

Je pivote la tête vers celle que je considère comme la femme de ma vie. Mes parents n'ont pas hésité une seconde à changer littéralement d'avenir afin de m'adopter. Ils ont dû tirer un trait sur ce qu'ils pensaient connaître de l'univers.

L'existence après la mort, les âmes errantes, tout. Le plus difficile pour eux a été de se faire à l'idée que le diable n'était pas un monstre rouge à cornes, et que les démons vont et viennent comme bon leur chante sur terre. Ils se cantonnent à ce que les films et livres racontent sur le paradis et l'enfer. Je dois dire que même si je suis la moitié d'un ange, moi aussi je suis encore parfois stupéfaite, comme lorsque j'ai appris que Lucifer était vivant. C'est un être immortel. Mais son cœur bat et du sang coule dans ses veines.

— Gabriel est toujours autant sérieux, grogné-je avec une moue amusée.

Ma mère connaît bien mon ange supérieur. C'est lui qui a décidé de me confier à eux lorsque j'étais enfant. Depuis ce jour, il descend occasionnellement sur terre pour leur rendre visite et leur parler de mes progrès. Bon, de temps en temps il vient pour rouspéter parce que je suis un peu trop inattentive selon lui...

— Il ne veut que ton bonheur, Gabriel est très à cheval sur ton éducation.

Ça, c'est le moins qu'on puisse dire. Il met un point d'honneur à ce que je connaisse sur le bout des doigts les règles du paradis et de l'enfer. Gabriel insiste pour que je récite parfaitement les distinctes lois des deux mondes. Et il y en a un paquet à retenir.

— Il aime particulièrement que je sois différente, Gabriel adore me façonner à sa manière, lancé-je d'une voix moqueuse.

J'apprécie énormément mon ange supérieur, mais malgré tout, c'est parfois pesant d'être le centre de l'attention au paradis. Je suis scolarisée à l'école céleste et certains enseignants estiment que je n'y ai pas ma place. Ils pensent que je suis un être contre nature.

Je n'y suis pour rien si je suis à moitié humaine ! Mais Gabriel est exigeant, car il est convaincu que plus tard, je serai en danger à cause de ma nature.

— Tu dois être en mesure de te défendre, pour ça, il faut que tu connaisses tes ennemis. Il a raison de te forcer à repousser tes limites. Tu dois avoir toutes les cartes en main pour affronter la vie.

Ma mère est persuadée que les démons finiront par s'en prendre à moi. À cause de ma différence. Ils me considèrent comme un danger, selon elle.

Au paradis, c'est pareil. Je me sens tout autant mal vue. Il n'y a que ma meilleure amie, Soledad, qui ne me juge pas.

Les autres anges sont d'anciens humains qui ont hérité de pouvoirs célestes à leurs morts. Pour ma part, je suis vivante. En chair et en os. Et ça, personne ne l'explique.

Gabriel lui-même ignore où je suis née. La seule chose dont il est certain, c'est que je suis mi-humaine, mi-ange.

— Je sais, maman, le diable et ses démons sont de vils monstres sans scrupules et je ne dois pas m'en approcher...

— Tu plaisantes, mais si Gabriel ne t'avait pas confié à nous, tu ne serais sans doute plus de ce monde. Tu es encore si jeune pour comprendre tous les enjeux.

Mon ange supérieur m'a sauvé la vie, j'en suis consciente. Il a agi contre les règles du paradis en prenant la décision de me transporter sur terre alors que je n'étais qu'un bébé, simplement pour me protéger. Cela dit, tous ces secrets autour de ma naissance me fatiguent. J'essaie de comprendre, en vain.

— Et je le remercie de vous avoir trouvé, vous, validé-je sincèrement.

Ma mère passe une main sur ma joue en souriant, tout en gardant l'autre sur le volant.

— Je lui rends grâce, chaque soir en priant, de nous avoir fait ce cadeau miraculeux, de nous avoir permis d'ouvrir les yeux sur l'univers, ajoute-t-elle avec un immense sourire.

C'est drôle comme on s'imagine l'enfer ou le paradis. Le commun des mortels pense que ce sont des endroits si différents du monde réel. Personne ne se doute que pour se rendre en enfer, il suffit de prendre sa voiture pour rejoindre le quartier des démons. Il faut oublier tout ce que l'on estime savoir de la galaxie. Faire un trait sur absolument tout ce que les plus grands historiens nous apprennent dans les livres.

— Tu devrais reproduire le paradis, un jour ta création se retrouvera peut-être dans les livres de légendes, lance-t-elle d'un ton amusé.

Lorsque je suis à la maison, je passe le plus clair de mon temps libre à laisser mon imagination déborder. J'aime faire glisser les crayons sur le papier. Le dessin est une passion transmise par ma mère. Je trace des paysages, mais aussi des anges, à l'occasion des démons.

Je m'apprête à lui dire que j'ai déjà représenté le paradis plusieurs fois, quand un choc brutal nous secoue. La voiture est projetée dans les airs, tandis que nous sommes à l'intérieur. Tout s'écoule à une vitesse folle, le bruit assourdissant m'oblige à plisser les yeux.

Les cris de ma mère me broient les entrailles. La scène se déroule tellement rapidement que je ne comprends pas ce qu'il se passe.

Lorsque l'auto stoppe enfin ses tonneaux, j'ai du mal à respirer et ma tête me fait souffrir.

Immédiatement, je cherche maman du regard.

Mes yeux s'embuent de larmes quand je m'aperçois que le volant ainsi que l'habitacle sont complètement encastrés sur son corps. Je me concentre afin de percevoir les battements de son cœur. Ce don fait partie de mes nombreux pouvoirs célestes.

Elle est en vie.

— Maman..., fais-je d'un ton faible.

Le malaise est proche, mes oreilles bourdonnent et mes mains sont moites.

Mes paupières se ferment, contre mon gré. J'ai la sensation d'avoir été secouée, comme dans une machine à laver.

J'essaie de me concentrer sur Gabriel afin qu'il ressente mon appel à l'aide, mais je n'ai plus assez d'auras. Impossible de communiquer avec lui.

La fatigue m'enrobe.

Un brouhaha assourdissant me force à rouvrir les yeux. Une main attrape mon poignet et je sens qu'on m'extirpe du véhicule.

Tout à coup, un détail retient mon attention.

Un halo noir m'enveloppe.

De gigantesques ailes me protègent.

Puis, avant de perdre connaissance, je réalise avec effroi que je n'entends plus battre le cœur de maman.