Deux sœurs

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Avant nous étions deux. Nous étions inséparables. Indissociables.

Maintenant je suis seule. Je suis une moitié. Une ombre. Un fantôme.

Quand je me regardais dans un miroir, c'était toi que je voyais. Tu étais ma conscience, et j'étais la tienne. On aurait dit des jumelles... Souvent, les gens nous confondaient, mais ce n'était pas grave, parce que quand ils t'appelaient, ils étaient sûrs de nous voir arriver ensemble, et c'était aussi le cas quand ils m'appelaient. Mais pourtant, nous ne nous ressemblions pas. Toi : la peau claire, les cheveux blonds et les yeux bleus. Moi : la peau bronzée, les cheveux châtains et les yeux verts. Toutes les deux grandes etminces. Nos caractères étaient semblables, mais ce n'est pas ça qui nous avait rapprochées dès notre enfance. C'était nos prénoms. Le mien, Elleana, était ton prénom à l'envers, Anaëlle. Depuis que nous l'avions remarqué très jeunes, nous ne nous sommes plus quittées. Nous passions nos vacances ensemble, quand tu allais chez ta famille, je t'accompagnais et inversement.

Nous avons fait les même études, les mêmes classes, les mêmes promos. Nous voulions être architectes.

Encore un rêve que tu ne réaliseras jamais.

Jamais.

Jamais !

Tout ça à cause d'un arbre.

Siseulement...

Si seulement... il n'y avait pas ta mère à aller chercher àl'aéroport. Si seulement on n'avait pas été ce jour-là, à cetteheure-là. Le 4 février, à 22h. Si seulement il n'y avait pas eu du verglas. Si seulement il n'y avait pas eu un chat. Si seulement il n'y avait pas eu cet arbre...

Alors tu serais toujours auprès de moi. Il n'y aurait pas au pied del'arbre ta photo entourée par des centaines de fleurs, de bougies et de mots. Des présents des vivants aux morts.

Tu vois, ce dont je m'en veux le plus, c'est certes de ne pas t'avoir dit de ne pas y aller, de ne pas avoir plus insister, mais surtout dene pas être montée dans la voiture avec toi. Parce que nous serions parties ensemble.

Je ne voulais pas vivre sans toi. 

Je ne veux pas vivre sans toi. 

Je ne peux pas vivre sans toi.

À présent au cimetière à côté du petit village, où nous avions acheté un petit appartement, où nous vivions ensemble célibataires, il y a une tombe avec ton nom marqué dessus, et avec comme épitaphe: "ci-gît Anaëlle Jeanne Marguerite Flossea, une personne quia aimé le monde comme elle aimait la vie, 14/10/1997-04/02/2020".

Je me sens si seule dans cet appartement que tu avais tenu à décorer toi-même.

On m'a accueille comme ta sœur. Mais ce n'est pas ça que je veux. Je veux être avec toi.

Les gens me disent que tu ne voudrais pas que je "gâche ma vie pourtoi", mais ils ne comprennent pas. Ils ont voulu « me soigner ». Ils me surveillent. Je leur ai dit que je ne voulais pas mourir, et que je vivrai en ta mémoire. Ils m'ont crue. Même si je n'en pense pas mots. Comme si je pouvais vivre alors que tu n'esplus de ce monde ! Comme si je pouvais aimer alors que tu es partie avec mon cœur...

Ils comprennent rien. Ils ne savent pas la douleur de perdre une partiede soi. On parle parfois des membres fantômes. Tu en es un. Quand tu es partie, une partie de moi est partie aussi. Parfois je te rends visite au cimetière, je dépose des fleurs sur ta tombe pour que tu ne te sentes pas oubliée, même si je sais que tu n'es pas là-bas. Cet endroit est la mort, alors que tu es dans la vie. Tu es dans le chant des oiseaux. Tu es dans le vent. Tu es dans le soleil. Tu es dans les sourires et les rires. Tu es dans les pleurs. Tu es partout.Mais tu n'es pas avec moi.

Aujourd'hui,nous sommes le 4 février. Un an après ta disparition. Il est 22h,je dois aller chercher ma mère à l'aéroport. Je suis en voiture. Sur la même route que la tienne, il y aura du verglas, un chat et un arbre. Pas le même que le tien. Celui qui est en face. 

Comme mon reflet. 

Comme ton reflet. 

Comme le reflet de ton arbre.

Comme le reflet de ta mort.

Comme le reflet de notre mort.

Comme notre reflet.

Comme le reflet de cette vie si triste que nous avons quittée.

Je suis en route vers la fin. 

Je roule vers la mort et je la regarde en face.

Je suis en route vers la fin de notre chemin.

Je vais te rejoindre. 

Attends-moi.

 Chaque mètre parcouru me rapproche de toi, me rapproche de la fin, me rapproche de moi-même.

Je vais te rejoindre ma sœur. Je vais te rejoindre et nous serons réunies pour l'éternité.

Au pied de mon arbre, il y aura ma photo, entourée par des centaines defleurs, de bougies et de mots. Je sais qu'ils vont être tristes. Me perdre, c'est te perdre une deuxième fois. Mais ils n'ont pas compris que je suis morte avec toi ! Je ne suis que le fantôme de moi-même, ton pâle reflet, une triste copie ! Une ombre à moitié effacée...

Mais bientôt nous serons réunies...

Dansle cimetière, à côté de ta tombe, il y aura la mienne. Avec comme épitaphe : « ci-gît Elleana Marie Françoise Giradou, àjamais liée avec Anaëlle Flossea, sa sœur de cœur, dans la vie etdans la mort, 18/03/1997-04/02/2021 ». Mais je ne serais pas au cimetière. Cet endroit est la mort, alors que nous serons dans la vie. Nous serons dans le chant des oiseaux. Nous serons dans le vent. Nous serons dans le soleil. Nous serons dans les sourires et les rires. Nous serons dans les pleurs. Nous serons partout. Nous serons ensemble, réunies à jamais, liées pour l'éternité. Puisque nous sommes sœurs. Dans la vie, dans la mort, et à jamais !



« Flashinfo : Une jeune femme du nom de Elleana Giradou trouve la morten voiture, aujourd'hui, le 4 février 2021 à 22h, en allantchercher sa mère à l'aéroport. Elle avait 24 ans. Selon la police,elle aurait tourné brusquement pour éviter un chat, et sa voitureaurait glissé et percuté un arbre. Elle serait morte sur le coup.Rappelons qu'elle était la plus proche amie d'Anaëlle Flossea, quia trouvé la mort à 23 ans, il y a un an jour pour jour, à la mêmeheure, dans de pareilles circonstances. Des centaines de personneslui ont rendue hommage au pied de l'arbre de sa mort. Nous vousinvitons à faire de même avec Mlle Elleana. Elle serait morte surl'arbre en face de celui d'Anaëlle. L'enterrement aura lieudimanche. Toutes nos condoléances à sa famille et à ses proches.Qu'elle soit en paix à présent. »

Bon...

C'est une histoire triste, c'est vrai... mais elle montre la puissance de l'amour...

J'ai beaucoup aimé écrire cette histoire... 

Et vous, vous en pensez quoi ?

Liesbeth 

Juste quelques motsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant