1• Qu'est ce que Jackie-ville?

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Pour se rendre à Jackie-ville, le chemin à prendre était plutôt simple. Surtout si l'on habitait dans les environs : les Agbois à l'Est de la ville, les townspeople à l'Ouest, les Hôganlès au Nord et "là bas" au Sud. De ces quatres contrées, rejoindre la ville était plutôt facile ; il fallait conduire tout droit selon le côté auquel on correspondait. C'est à dire soit à droite, soit à gauche soit devant. Jackie ville se situait concrètement au centre de ces quatres repères. De plus la route était goudronnée, alors quoi de plus facile!

Dès que l'on savait comment s'y rendre, il fallait se demander "pourquoi" s'y rendre. C'était connu, Jackie-ville n'était pas un lieu qui attirait les touristes.

D'abord, il y faisait toujours un temps orageux. Le soleil n'osait que très rarement se montrer, si bien qu'on avait souvent l'impression de regarder la ville à travers une télévision blanc noir. Et puis, inévitablement cette atmosphère désolait tant les habitants qu'ils se sentaient obliger de se montrer le plus désagréable possible la majeure partie du temps. Et oui, dommage !

Ensuite la ville offrait un air sinistre à tous ceux qui osaient s'y aventurer -les audacieux-. Elle était entourée au tiers d'une forêt, noire et dense. Rien à voir avec les forêts vertes et roses de Barbie. Non, une forêt qui semblait vous murmurer "Je te conduirai au fin fond de ma noirceur, te tourmenterai de tes propres peurs, te hanterai de mon charme onirique et t'engloutirai à jamais en moi" A son actif elle compterait des milliers de disparus et de morts! Alors oui, il vallait mieux réfréner ses élans de témérité face à un adversaire pareil. Mais la forêt n'était pas la seule à embrumer le paysage de Jackie-ville. En effet, la ville était aussi encerclée de trois grandes montagnes. Trois géantes, imposantes et effrayantes montagnes dont les sommets se perdaient parmi les nuages gris du ciel. Elles n'évoquaient rien de charmants et n'incitaient absolument pas à l'aventure. Tout comme les bois elles tempéraient les plus audacieux d'un simple regard. Jackie-ville n'avait de toute évidence pas su s'entourer de ce qu'il y avait de plus rassurant en ce monde. Bien dommage !

Enfin, au delà de ses limites, la ville faisait parler d'elle. On entendait souvent : "leur forêt est peuplée de sorcières ! Mais oui, elles logent là et envoient fréquemment leur mauvais sorts sur les pauvres habitants !"..." Pauvres habitants ? Quelle leurre! Il paraît qu'ils sont tout autant démoniaques qu'elles. Ils ne constituent qu'un agglomérat de monstres en tout genre"..." Il ne faut pas exagérer non plus, ils sont justes mal situés"..."Cela n'explique pas tout bon sang! Et les multiples assassinats et meurtres qui se produisent dans la ville sont aussi le fruit de leur situation géographique ? Ces gens sont pas nets moi je vous le dis!"..."Rien n'est clair au Sud, rien". C'était l'une des conversations types que l'on pouvait surprendre à propos de Jackie-ville. Ici, il s'agissait plus précisément de commérages de vieux retraités de Hôgan.

Et pourtant il ne fallait pas se méprendre. Oui il fait un temps déprimant à Jackie-ville. Et oui, son sillage force l'inquiétude. Mais non, ses habitants ne sont pas à remettre en cause plus qu'autre part ailleurs! Ils ne sont bien sûr pas la sympathie personnifiée -loin de là- mais ils ne forment pas non plus un gang d'êtres surnaturels!

Cependant, ce troisième point est nécessaire pour expliquer la répulsion naturelle entre cette ville et le reste de ce monde. Maintenant il restait à se pencher sur ce qui se passait à l'intérieur de la ville. Et bien, et bien...

En cette après midi de Juin chaud et sec, tout était comme tel dans la ville. Les nuages toujours aussi gris -l'on se demandait alors comment l'air pouvait il être aussi chaud- ne semblaient pas  se mouvoir dans le ciel. Les oiseaux eux ne chantaient que cinq fois par ans et pas tous les ans, ce jour là n'était alors qu'un jour ordinaire. Les bâtiments et les infrastructures semblaient vieux et décrépis, abattus par le sinisme de la ville. Même le café coloré de Sonia -l'un des rares bâtiments colorés en passant- n'apportait pas grand chose de gai à la ville. Les passants, eux aussi affectés  de morosité, déambulaient dans les rues sans un mot pour leur voisin de trottoir -à quelques exceptions près- tout aussi fatigués qu'eux. Mais ce n'était là encore rien de bien surprenant ; le travail est toujours harassant quelque soit la ville.

A trois carrefours du café de Sonia, on retrouvait la mairie. Grande, vieille et austère. La décoration manquait de fleurs. Mais cela ne semblait déranger personne -à quelques exceptions près-. Monsieur le Maire, comme d'habitude, était confortablement et négligemment assi dans son fauteuil municipal. De son propre point de vue, il n'y avait pas grand chose à faire. Du point de vue de sa sécrétaire, Martine, on croulait sous le travail.

- Excusez moi Monsieur le maire mais le téléphone n'arrête pas de sonner.      Monsieur Quate dit qu'il doit vraiment vous parler...et..et il y a aussi les plans de reconstruction du marché que vous devez revoir...certains problè-

- Mais enfin Martine, cessez donc de stresser pour si peu la coupa t-il. Nous aurons bien le temps de gérer tout cela plus tard ; Monsieur Quate n'est pas une priorité pour moi et vous le savez ! Et puis que se passe t-il avec ce marché ?

La réponse lui importait peu ; il ne s'y intéressait pas plus qu'aux autres projets. Tout le contraire de sa sécrétaire :

- Budget insuffisant ! murmura t-elle d'une traite sous le poids de l'appréhension.

C'est qu'en effet, il ne fallait pas parler d'argent avec Monsieur le maire. Le bonhomme estimait qu'avec tout son investissement pour la prospérité de la ville, il était grossier de dilapider les fonds qu'il dégotait au prix de maintes supplications. Il en faisait tout un discours qu'il était le seul à trouver émouvant; tout le monde ici savait où partait l'argent du peuple.

Mais Martine, la pauvre Martine, dût quand même l'écouter avant de se retirer en bredouillant des excuses pour le dérangement. Les problèmes de Jackie-ville n'étaient pas prêts d'atteindre le maire Danton Jackie VII ZESKY de si tôt!

Oui, oui, Jackie VII. Le septième des autres individus nommés Jackie. Avec la particularité d'avoir tous été maire de Jackie-ville bien sûr. Un Jackie par génération. Cette idée venait tout droit de Jackie I, qui après avoir été élu maire décida que la responsabilité municipale devait être un héritage familiale. Ainsi, la ville fut-elle ridiculement rebaptisée Jackie-ville et l'on décida avec tout autant de ridicule de nommer tout successeur au trône Jackie. Pauvre ville.

L'ironie du sort avait fait que tous les descendants de cette famille furent des garçons. Aucune fille n'avait encore vu le jour dans cette maison et l'on se demandait même s'il n'y aurait pas une quelconque intervention mystique dans cette histoire. Bien que l'on doutât que le sexe de l'enfant influence leur tradition. D'ailleurs, le futur maire, tout juste agé de 18 ans, fréquentait le lycée du centre ville et promettait d'être aussi "utile" que ses prédécesseurs. L'on pensait que ce serait finalement lui qui achèverait de couler la ville. Les paris allaient bon train.

Mis à part son maire irresponsable et sa naturelle noirceur, Jackie-ville pouvait être considérée comme une ville lambda. Enfin, presque!

Heureusement qu'il y avait des exceptions. De nombreuses petites exceptions qui vadrouillaient partout et tentaient au mieux de vivre leur adolescence.

Et à ce propos, dans l'un des quartiers les moins inquiétants de la ville, il y avait cette petite maison. Petite, quelque peu mignonne et semblable aux autres maisons de la rue. Enfin, si l'on omettait la joyeuse inscription gravée à la peinture sur la clôture :

Two jailer are living here!

*Deux geôliers vivent ici

Fantoches Où les histoires vivent. Découvrez maintenant