THE MAD WOMAN

𝐜𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝐝𝐞𝐮𝐱

Lizzie

⠀⠀ Retourné.
⠀⠀ Flip.
⠀⠀ Pirouette.

⠀⠀ Les noms des figures techniques résonnent à travers les parois crâniennes de la patineuse dans un enchaînement bien précis pour ne laisser transparaître qu'une chorégraphie harmonieuse à la vue du monde. Un entraînement devenu intensif sous toutes les répétitions, autant dans ses songes que sur la glace. Elle se le dicte, encore et encore, pour l'exécuter, encore et encore. Et ce, dans l'unique objectif d'effacer les dernières imperfections résidant dans ses mouvements incertains, supprimer les quelques petites erreurs disgracieuses qu'elle se doit de corriger. Elle veut balayer ses ultimes hésitations pour ne laisser place qu'à la perfection.

⠀⠀ Parce qu'elle n'a pas le droit à l'erreur. Aucune erreur.
⠀⠀ Elle ne doit qu'être perfection, de ses patins jusqu'à ses mèches de cheveux plaqués contre son crâne. Sans défaut, sans doute. Tous ses gestes doivent être fluides, carrés et effectués d'une précision à toutes épreuves pour ne laisser place à aucune incertitude sous les regards critiques.

⠀⠀ Juste parfaite. Pas plus, pas moins.
⠀⠀ C'est la barre minimum fixée qui doit être atteinte avant la compétition pour espérer conquérir une place sur le podium, pour rêver de la lourdeur d'une médaille d'or pendant à son cou. Une demande de perfection si intense qu'elle pourrait presque la faire vaciller sous la pression, mais qu'elle use comme une force surhumaine pour se relever à chaque chute, pour recommencer à chaque faute. Elle le doit - elle doit le faire, aucune autre issue possible.

⠀⠀ « Eli ! »

⠀⠀ Instantanément, sa bulle explose.
⠀⠀ Brusquement, sa concentration implose.
⠀⠀ La voix enfantine éclate à travers le brouillard de ses pensées, dans l'espérance de les interrompre et d'attirer toute son attention. Et aussitôt, les mouvements de son corps se bloquent, manquant de la déséquilibrer sous cet égarement d'une seconde. Cela la fait presque grimacer d'être capable de perdre toute sa concentration aussi facilement que cela, aussi rapidement qu'elle est apparue. Cependant, l'inquiétude qu'emballe les battements irréguliers de son cœur dépasse cette frustration personnelle. Ses pieds exécutent un freinage sans risque, interrompant définitivement son programme avant qu'elle ne tourne sur elle-même pour trouver l'auteur de cette exclamation brutale.

⠀⠀« Mon frère est là ! »

⠀⠀ L'information est hurlée à pleins poumons afin d'atteindre ses tympans, et aussitôt, ses prunelles brunes traversent la patinoire sombre pour se déposer sur une silhouette lointaine exécutant des grands mouvements de bras. Le son de la voix déborde de joie et sonne avec force jusqu'à elle, perdue au milieu de la glace, à des mètres de lui. Ce n'est que lorsqu'elle distingue une deuxième silhouette que les battements frénétiques s'apaisent totalement dans sa cage thoracique. Lizzie laisse son regard passer de la direction où l'enfant oublié, Oliver, était installé précédemment - dans les gradins - aux portes, à moitié ouvertes, où celui-ci semble déjà s'être dirigé en compagnie de celui qu'il prénomme son frère.

⠀⠀ Pendant une seconde, ses sourcils se froncent tandis qu'elle tente de distinguer les deux personnages, notamment le nouvel arrivant. Mais, la pénombre du bâtiment l'en empêche. Les lumières sont presque toutes éteintes, informant silencieusement aux dernières présences une heure certainement tardive, de celle dépassant sans aucun doute les horaires normalement autorisés au public.

⠀⠀ Sauf qu'elle le voit. Ce sourire éblouissant. Cette lumière dans l'ombre.
⠀⠀ Le joueur de hockey efface les derniers doutes de son cœur sous ce rictus plus intense que les rayons solaires eux-mêmes. Elle ne peut plus se méfier de l'identité de la personne qui glisse doucement sa main dans celle de l'enfant. Pourquoi ? Car personne ne laisse un sourire aussi radieux et puissant étirer les coins de ses lèvres s'il ne se sent pas en sécurité. Un sourire ne peut être aussi lumineux qu'en présence d'une personne en qui notre cœur et notre cerveau ont pleinement confiance. C'est un sourire véritable.
⠀⠀ Parce qu'elle n'y discerne aucune peur, aucune crainte, aucun doute. Juste un bonheur immense qui la fait presque pâlir de jalousie.
⠀⠀ Ça doit être beau de se sentir autant en sécurité avec quelqu'un. Et ça, ce sentiment, elle l'observe avec envie. Elle empeste la jalousie.