Chapitre 5 : le goût de la sécurité

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GIULIA

— J'ai changé d'avis.

J'enlève mon écouteur de mon oreille alors que madame Vaughn tend sa main calleuse dans ma direction. Avec son éternel chewing-gum qui claque sans arrêt contre son palais, son ensemble de sport frou-frou rose bonbon, ses longues boucles d'oreille et sa queue de cheval haute, madame Vaughn, ou autrement dit la femme du propriétaire de mon immeuble est pile la personne sur qui je ne voulais pas tomber, aujourd'hui. Après avoir passé ma journée à organiser les derniers préparatifs à l'observatoire, j'ai besoin de me poser dans le silence avec mon poulet mariné de la veille.

Et pas une question de savoir si je peux garder ma place de parking, ou non.

— Je croyais qu'on s'était mis d'accord ? répliqué-je, irritée. Votre mari m'a assuré que c'était compris dans le loyer, il y a déjà quatre ans et demi de ça. Pourquoi est-ce que vous changez d'avis maintenant ?

— Avec les travaux sur le grand boulevard, il y a de plus en plus de gens qui viennent se garer ici. On préfère ne pas laisser le choix, plutôt que de se laisser piétiner.

— Mais j'habite ici. C'est ma place de parking.

Dans la poche de ma veste noire, mon poing se serre jusqu'à ce que je sente mes jointures craquer. Je ne sais pas ce qui m'énerve le plus. Son regard je-m'en-foutiste, la barrette dans ses cheveux d'un blond faux ou encore sa paume toujours étendue dans ma direction.

— Ce n'est pas mon problème. Soit, tu payes, soit tu vas garer ta caisse ailleurs. A toi de voir.

C'est une blague ?

— Et je conseillerai de vite choisir, l'orage ne va pas tarder.

Je jette un coup d'œil dehors et en effet, derrière les portes en verre de mon immeuble, la journée tempêtueuse ne fait qu'annoncer ses couleurs. Le ciel a viré dans un gris si sombre que même la lumière blafarde du hall ne semble pas être suffisamment puissante face à l'obscurité.

Merde.

— Combien ? demandé-je finalement, en grinçant des dents.

— Quatre-vingts dollars en plus.

— Par mois ?!

— Eh oui.

Les yeux plissés à demi, j'essaye de maîtriser ma colère tout en sortant mon portefeuille de mon sac. Je sais, tout comme elle, que je n'ai pas réellement le choix.

Quand on dit qu'on habite dans les régions du Pacifique du Nord-Ouest, on s'imagine directement une belle maison au bord d'un lac ou un chalet dans une forêt de pins. Un grand jardin, des chambres par dizaines... Du moins, ça, c'est ce que laisse transparaître les livres de Stephen King qui s'entassent sur les étagères poussiéreuses de mon appartement de vingt mètres carrés, dans un complexe de vieux immeubles.

Et alors que je tends avec dépit les derniers billets qui me restent, destinés à mes courses...

Que Stephen King est un sale menteur.

— Je croyais que les scientifiques étaient riches aux as.

Son ton mauvais fait relever les cheveux sur ma nuque, alors je réplique aussitôt, le nez froncé :

— Et moi, je croyais qu'on n'escroque pas les gens comme ça. Pourtant... Nous voilà.

Son sourire satisfait s'efface de ses lèvres aussi roses que le restant de sa tenue et elle m'arrache les billets des mains.

Once, We Flew.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant