LASZLO
Je souris quand une fausse note fend l'air.
— Monsieur Bassili, vous savez quel âge a ce piano ? Il ne mérite pas un tel acharnement. Soit, vous vous concentrez, soit vous le lâchez, mais par pitié, prenez une décision !
Une nuée de rires s'élève de l'attroupement d'étudiants autour de nous, mais il en faut plus à Accacius Bassili pour se démonter. Assis à mes côtés sur le long tabouret en velours noir, les manches de sa chemise blanche déjà relevées sur ses coudes et la cravate repliée sur l'une de ses épaules, il fronce les sourcils et soupire. Je profite de sa concentration pour me servir mon énième tasse de café et grimace encore plus que lui quand il commet la même faute.
Je commence à comprendre pourquoi le café de la salle des professeurs est si important pour tout le monde. En l'espace de quelques jours à peine, j'ai été plus attaché à ma tasse qu'à mes carnets de croquis.
Blasphème.
Mais ce soir a besoin de son lot de caféine. Avec le début de l'automne, les derniers rayons de soleil ont officiellement rendu l'âme et les jours d'orage se sont succédé. Si les fausses notes d'Acaccius animent la salle de classe de Trudy, la professeure de musique et accessoirement l'une des seules collègues assez gentille avec moi pour avoir réussi à me sortir de n'importe quelle rencontre avec Warren, le tonnerre en fait autant dehors. Les vitres des grandes fenêtres tremblent peut-être même plus que les prouesses des élèves ennuyés qui sont enfermés avec nous, cette nuit.
Un des plus grands sycomores de l'académie s'est abattu sur la porte principale du bâtiment des dortoirs des garçons, forçant tout le monde qui y dormait à devoir installer des sacs de couchage dans le réfectoire, le temps que l'orage passe et que le tronc soit enlevé.
Volant notre nuit, au passage.
Néanmoins, quand certains des garçons ont été retrouvés autour du piano de Trudy, alors qu'ils avaient la stricte interdiction de se promener dans les couloirs... On a fini par se joindre à eux.
Ils n'y sont pour rien, après tout.
— Je vais y arriver, grince finalement Accacius en s'avançant sur le rebord du tabouret pour se rapprocher au plus près des touches.
— Ne pense pas à l'enchaînement, interviens-je en posant ma tasse de café déjà froide près du pupitre. Ton appréhension te bloque. Laisse-toi aller, il viendra plus fluidement.
— Exactement, acquiesce Trudy en forçant un élève à sortir d'un des fauteuils en velours de la pièce pour s'y asseoir elle-même. Tu dois trouver en toi le parfait équilibre pour pouvoir trouver la fluidité.
— On parle toujours de piano ou c'est un cours de méditation ? rétorque-t-il en se tordant la nuque pour toiser la professeure du regard.
— La ferme, connard, et joue.
Une claque derrière la tête de la part de son jumeau lui remet les idées en place et il recommence doucement son morceau.
On m'avait promis que les élèves que j'avais dans mon cours étaient parmi les pires de l'académie et que leur besoin pour les bonnes notes était trop haut pour se laisser attarder sur l'importance du CV de l'un de leurs professeurs. Mais alors qu'Accacius reprend la partition, cette fois-ci sans fausses notes, je vois à travers les plis de son front, la délicatesse de ses doigts sur les touches et sa volonté de réussir que c'est plus que ça.
Ils ont besoin d'affirmation. D'être le choix numéro un, pour une fois. Que le rejet les a dépravés d'amour et que leurs parents ont pensé pouvoir les cacher, dans les landes de Syracuse, pour qu'ils ne fassent pas trop honte.
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Once, We Flew. | En Cours
Romance1998 : Gaslight Fields, Texas. Un fermier fou. Des cages remplies d'enfants. L'odeur de la mort. Le bruit des pelles qui retournent la terre. Les cadavres. Tous ces cadavres... Giulia Matip, l'une des seules survivantes du massacre, n'a jamais su...