La neige se révèle impitoyable et avide. Tel un serpent perfide, elle murmure à votre oreille, vous incitant à succomber, à fermer les yeux quelques instants. Elle traque chacun de vos gestes, attendant patiemment que la fatigue et le froid deviennent insupportables, pour vous offrir un linceul scintillant d'une blancheur immaculée. Une tentation fatale, une promesse trompeuse de repos éternel. Un piège qui s'avère mortel.
Épuisé, je m'efforce de courir, mais je m'écrase lourdement sur le sol. Un sentiment de déjà-vu m'envahit. Plissant les sourcils, je me retourne en me débattant dans la neige glacée. Je réalise alors, que cette fois-ci, ce n'est pas le vieil homme sur lequel j'ai trébuché. Un cri de stupeur s'échappe de mes lèvres en découvrant les yeux vides de Lev, son visage bleuté par la mort, enveloppé d'un fin voile de givre. Je hurle, secouant la tête frénétiquement. Je me précipite sur lui, agrippant ses épaules pour tenter de le ramener à lui. En vain... Les larmes brulent sur mes joues et j'ai le gout amer du regret en bouche. C'est ma faute ! Si seulement j'avais été plus vigilant envers lui... Si seulement...
La douleur qui déchire ma mâchoire me tire brutalement de mon sommeil. Sidéré, je lève les yeux et grimace en reconnaissant la silhouette imposante qui me surplombe. Le visage effrayant de Stanik me ramène violemment à la réalité. Un cauchemar. Rien de plus qu'un cauchemar. J'expire profondément en me frottant la joue encore douloureuse. Surement que l'empreinte de la botte de cette brute y est ancrée. Engourdi, je me traîne jusqu'à la foule de gamins près de l'entrée. Une fois de plus, je ne vois pas le visage de Lev. Les brumes de mon rêve reviennent à moi et je prie pour qu'il ne se soit pas endormi dans les bras meurtriers de cette épaisse couche de neige. Il est intelligent, il sait qu'il vaut mieux recevoir une raclée que de risquer de dormir dehors. Mais, je ne peux pas ignorer ce mauvais pressentiment. Oserais-je demander à l'un des gardes s'ils l'ont vu ? Comme si cela pouvait les préoccuper. Un gosse de plus, un gosse de moins, quelle différence cela fait-il pour eux ? Ils en récupèrent constamment dans les quartiers abandonnés, donc je les imagine mal compter ceux qui manquent à l'appel. Seules les liasses de billets les fascinent.
Ce matin encore, c'est double dose. Si cela me démoralise au plus haut point, je n'en montre rien. Ils seraient capables d'en ajouter encore plus si je proteste. Serrant les dents, je cache les sachets de pilules dans ma veste en lambeau. La faim me tiraille toujours, mais l'inquiétude dans mon esprit règne. Je mangerai une fois que j'ai retrouvé Lev... Mon cœur bat la chamade alors que l'urgence m'incite à sortir en trombe du hangar, mes pas s'accélérant vers l'endroit maudit de mes rêves. Une angoisse oppressante s'empare de moi, nouant chaque fibre de mon être à mesure que je m'approche de cette ruelle bilieuse. L'idée même de retrouver Lev, dans le même état sinistre que celui que j'ai vu en songe, me terrifie au plus profond de mon être. Les images de mon cauchemar défilent devant mes yeux, amplifiant mon appréhension déjà palpable.
La tentation de faire demi-tour, de fuir ce qui pourrait bien être une réalité effroyable, s'insinue en moi. Mais, je refuse de céder à cette peur insidieuse. Ce serait un acte de lâcheté. Je me rappelle combien Lev soufre dans ce monde sans pitié, combien son sort est semblable au mien. Je puise alors au plus profond de mes ressources, dans les replis les plus sombres de ma détermination, pour trouver la force nécessaire afin d'affronter cette appréhension qui me tenaille.
Le courage devient mon allié, me guidant à travers la nébulosité de la ruelle. Chaque pas que je fais est un acte de défiance envers mes propres démons intérieurs. Mes pensées se tournent vers Lev, et mon esprit se fortifie. Je refuse de laisser les sombres présages de mon rêve dicter ma réalité. Tremblant de la tête au pied, je me fige là où mon rêve s'est arrêté. Mon regard effrayé fouille, glisse sur les amas de neige. Il n'y a rien qui ressemble à un corps humain... Rien. Il n'est pas ici. Je lâche l'air que je retenais jusque-là dans mes poumons. J'expire de soulagement et j'ai un rire sinistre. Bordel, j'y ai vraiment cru, à ce maudit rêve. D'une main encore fébrile, je frotte mon visage pour me redonner contenance.

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Vanadium
Ficção HistóricaLa Première Guerre mondiale vient à peine de se terminer, les nations se reconstruisent lentement et tente d'effacer les cicatrices affligeantes de ces années sombres et sinistres. La famine, ainsi que les vagues de froids font des ravages au cœur d...