Harakiri

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Je n'avais jamais cru à un ciel bleu ; je ne croyais qu'à ce que je voyais, et je n'avais jamais vu un ciel bleu. Effectivement, enterré sous terre, notre peuple - composé de six personnes - ne sortait jamais de notre casemate. Comment aurions-nous pu la quitter si l'unique issue était un tunnel de la largeur d'un enfant et que nous évader équivalait à une mort sous une pluie acide ? Seuls les plus jeunes avaient l'autorisation d'aller sur le sol terrien pour récupérer quelques vivres. À leur âge, je m'y rendais souvent - et les cieux m'apparaissaient toujours gris. Aujourd'hui, trop vieux, je restais caché tel un rat dans le bunker, avec les autres qui attendaient le retour salvateur de notre enfant. Alors qu'ils guettaient celui-ci, je me plongeais dans ma correspondance avec un autre groupe de survivants. Depuis cinq ans, nous échangions des lettres. Nous rêvions, ensemble, du dernier siècle. Autrefois, l'humanité vivait sur terre dans des villes qui grimpaient jusqu'au ciel - était-il bleu, alors ? À l'époque, aucune pluie ne corodait leurs bâtiments, leurs os, leurs vivres. J'aurais tant voulu naître dans ces années ! Ou, à la limite, être là pour prévenir les hommes que leur pollution nous réduirait à néant.

- Adam, la gamine arrive !

Je quittai mes missives pour rejoindre Consuela, l'une de mes camarades. Elle était dressée devant le tuyau qui servait de porte, surveillant la venue de Morgane, sa fille de six ans. Elle me laissa la vision de notre monde désolé, ainsi que d'une petite silouhette foncée qui avançait difficilement à travers les débris miniers. À travers le passage cylindrique, je remarquai que le drap gris qui voilait le soleil était bien trop sombre. Des nuages s'étaient formés. Des nuages de pluie, et non de smog. Non ..! Notre terre mère ne pouvait pas pleurer, pas maintenant ! Il fallait que la petite soit sauve ! Mes grands bras minces tremblaient, mais je ne me retournai pas vers Consuela afin d'éviter de lui léguer mon inquiétude. Morgane allait vivre.

- Dépèche-toi ! criai-je, essayant de cacher mon anxiété.

Avant d'entendre ses petits pieds galoper, une panoplie de perles glissant sur le sol me firent parvenir leur bruit. Elles traversaient la croûte terrestre sans difficulté, créant des cratères minuscules dans la terre. Si cette averse pouvait faire une telle horreur à notre si tenace sol, qu'adviendrait-il à de la peau humaine ?

- Qu'est-ce qui se passe ? demanda mon amie, désormais nerveuse.
- Rien, rien ! crachai-je, sans lui montrer mon visage.

Morgane courait avec son sac rempli de vivres. Sa bouille, maintenant visible car elle était plus près de nous, était marquée de plaies fines dûes à la pluie acide. Mon cœur se serra sous son expression de souffrance. Par réflexe, je sortis mon bras de la casemate. J'étouffai ma douleur. La petite s'approchait, elle saisirait ma paume et je la tirerai rapidement à l'intérieur. L'eau assassine coulait sur mon épiderme. Plus vite, Morgane ! Je la voyai tanguer. Lâche ce foutu sac ! Des trous se formaient dans ses joues rondes. Prends ma main, ma belle ! Elle se trouvait à ma portée quand elle glissa à cause du terrain mouillé. À cause du terrain, oui ! Ses blessures ne pouvaient avoir eu raison d'elle ! J'attrapai son mince poignet pour la ramener à l'intérieur.

Des larmes noyaient les iris gris de Consuela. Elle hurlait mon prénom, puis celui de son enfant. Nos comparses alarmés s'attroupèrent autour de nous.

Nous devions être magnifiques, Morgane et moi. J'avais ramené mes bras autour de son petit squelette habillé de chair. Mon humérus droit était très visible à travers mes plaies, mais il soutenait encore le minuscule cadavre de l'enfant. Elle ne respirait effectivement plus : on voyait bien que ses poumons s'étaient troués.

- Merde, Adam ! T'aurais pas pu empêcher ça d'arriver ? s'insurgea, dans ses pleurs, Guerric, le père de la fillette.
- Qu'est-ce qu'on va faire ? souffla Famara, le plus insensible de nous.

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 08, 2015 ⏰

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