16. Alexandre

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Le jet privé n'était pas encore arrivé. Alexandre attendait avec William à l'aéroport de New York, isolés de l'habituel chaos humain dans leur salle d'attente privée. Il avait prévu depuis plus d'une semaine l'arrivée de l'avocat et avait prévu de l'attendre seul, mais William, qui l'avait vu se préparer pour partir, lui avait demandé de le suivre. Alexandre n'avait pas caché sa surprise. Auparavant, William aurait tout fait pour l'éviter.

Aujourd'hui, c'était comme s'il avait besoin de sa présence pour respirer.

Le silence qui planait entre eux depuis plus d'un quart d'heure ne le dérangeait pas. Ils avaient l'habitude de ces moments là. C'était comme la création d'un espace où ils ne s'obligeaient à rien ; ni à se justifier, ni à expliquer, ni à parler pour ne rien dire. William avait ses coudes appuyés sur ses genoux, ses yeux fixés au sol. A quoi pensait-il, Alexandre se le demandait. Il ne saurait sûrement jamais ce qui traversait l'esprit désordonné de William.

— On peut fumer ici ? demanda-t-il en relevant brusquement la tête.

— Aucun espace fermé ne permet de fumer.

— En France. Mais pas aux Etats-Unis, si ?

— Le tabac est moins nocif sur le territoire américain, c'est ça ?

Le coin de ses lèvres se retroussa. Il n'aurait jamais pensé pouvoir lui rendre son sourire un jour, et pourtant.

— Peut-être.

Puis il se remit à fixer le sol comme si les carrelages possédaient un charme particulier. Alexandre soupira et regarda par les grandes baies vitrées. Il n'avait aucune idée de s'ils pouvaient voir le jet privé atterrir d'ici. Il l'espérait, en tout cas. L'attente l'agaçait.

— Je trouve ça bien, tu sais, prononça William.

— De quoi ?

Il s'était redressé et tourné légèrement vers lui, tout en laissant une distance respectable entre eux.

— Pour essayer d'améliorer tes relations avec Erwin. Il appréciera le geste.

Alexandre ne répondit rien. Quand il avait vu Lucas être projeté à plusieurs mètres sous le coup de poing de son frère, il avait compris que la rage d'Erwin atteignait des limites dangereuses. Et entendre des remarques acerbes tous les jours de sa part ne lui faisait pas plaisir non plus. Ils avaient été amis pendant si longtemps. Meilleurs amis, même. Et tout ça se brisait pour un passé dont ils n'étaient même pas responsables.

Parfois, il se remémorait les mots qu'il avait adressés à son père avant de partir. "Nous ne sommes pas vous". Il s'était refusé de laisser ceux qui lui étaient chers dans une situation compliquée. Il ne voulait pas reproduire les mêmes erreurs que son père, ni même lui ressembler. Et pourtant, tous ses choix jusqu'ici lui prouvaient le contraire.

Il n'aimait pas la personne qu'il devenait.

— J'espère, murmura-t-il alors.

La main de William glissa dans la sienne. Son cœur s'arrêta de battre. Il n'avait plus l'habitude de contacts physiques avec lui. Cela lui rappelait leurs heures perdues à se coller l'un contre l'autre, en silence ou absorbés dans une conversation, leurs mains entrelacées. Une peau rugueuse contre une plus douce. La tempête et le calme entremêlés. Cette avalanche de souvenir lui fit l'effet d'une gifle. Plus par réflexe que volonté, il retira sa main. William avala le rejet dans un calme froid. Il ramena son bras vers lui.

— Pardon, c'était déplacé.

— Ce n'est pas...

— Je comprends.

Le Mur - Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant