Prologue: Quand le rêve s'allie à la réalité...

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J'avançai. Le vent fouettait mon visage. Je resserrai mes bras autour de moi. Il faisait sombre, bien trop sombre pour que j'aperçoive quoique ce soit.

- Eh ! m'écriai-je. Y'a quelqu'un ?

Aucune réponse.

- S'il vous plaît, repris-je, la voix brisée. J'ai froid.

Un bruit retint mon attention. Des pas. Fluides et légers mais trop lourds pour une femme. Une ombre se détacha de l'obscurité. Sans voir son visage, je sus que c'était lui. Une lumière soudaine éclaira ses traits harmonieux, droits, fins. Parfaits. Ses cheveux d'un noir rappelant le corbeau, son teint pâle, ses lèvres roses et charnues... Et ses yeux. Yeux d'un gris intense pailleté de violet. Tout me plaisait chez lui. Si bien que j'enfonçai mes ongles rongés dans la peau de mes bras pour résister à l'envie de lui sauter dessus. Aussitôt, ma vision se brouilla, son image devint floue.

- Je t'en prie, murmura-t-il. Fuis. Tu n'es pas en sécurité ici.

Il m'attrapa les épaules.

- Lâchez-moi, vous me faites mal!

- Il faut que tu t'en ailles, répéta-t-il plus fort, je t'en prie. Tu es en danger.

Mes yeux se posèrent sur sa main. Un tatouage. Un tatouage représentant trois signes identiques reliés entre eux: le Yin et le Yang. Le Blanc et le Noir. Le Bien et le Mal.

-Crois-moi, Kayna!

Son cri se répercuta longuement dans mon esprit.

Je me redressai brusquement sur mon lit. Je sentis immédiatement le regard apeuré de ma mère.

- Ma chérie, ça va, s'enquit-elle d'une voix angoissée. Encore un mauvais rêve, pas vrai ? On ne peut plus continuer ainsi. Il faut...

- Non, la coupai-je. Je n'irai pas voir la psychologue du lycée. Ni aucune autre d'ailleurs.

Je me levai et essuyai mon front humide de sueur.

- Peux-tu quitter ma chambre, s'il te plaît ?

Ses yeux reflétaient la peine mais sa tristesse ne me fit même pas frémir. Je la détestais et toutes ses gentilles attentions, je n'en voulais pas et ce, depuis toujours Quoiqu'il arrive, cela n'allait pas changer. Elle sortit de la pièce, me laissant le temps de me remettre de ce nouveau rêve. J'avais réussi à la persuader que mes cauchemars étaient liés à la mort de mon père mais c'était faux. Sans cesse, le même scénario se répétait: seule, dans un endroit sombre, je cherchais de l'aide. Et ce mystérieux garçon apparaissait. Chaque fois, il disait la même chose: «tu es en danger». Toutes ses apparitions m'avaient l'air de plus en plus réelles. Ne disait-on pas que l'on ne sentait rien, lorsqu'on rêvait? Pourtant, moi, le froid, les mains du jeune homme, dont l'une portant l'étrange tatouage, sur moi, l'intensité de son regard... Ces sensations, je les avais toutes ressenties. De plus, je me souvenais parfaitement de tous les rêves que j'avais faits de lui. Et c'était ce qui me faisait peur. Quelque chose clochait.

Je mis mon bonnet de laine noir sur ma tête, ma couleur, fétiche, avant d'enfiler ma veste assortie. Mon écharpe enroulée autour de mon cou, je quittai la maison et enfourchai mon vélo, dernier cadeau de mon père avant sa mort. C'était lui qui m'avait transmis cette passion pour le sport, plus particulièrement pour la boxe et le vélo. Petite, je n'étais pas très dégourdie mais j'étais très turbulente, ce qui avait poussé mon père à m'apprendre divers sports. Aujourd'hui, je ne pouvais plus le remercier mais j'étais certaine qu'il était fier de ce que j'étais devenue. Et je voulais qu'il le soit encore longtemps.

Je me baissai pour vérifier mon antivol. Sécurité: optimale. Les regards vrillaient dans mon dos, je le savais. Était-ce parce que j'étais la seule élève à encore aller à l'école en vélo, telle une collégienne, au lieu de prendre le bus ou parce que j'étais «la fille du gars qui s'est fait tué» ? Mystère.

-Comò està ! s'exclama d'une voix théâtrale la voix de ma meilleure amie, Monica.

-Ça va, merci, répondis-je, faussement agacée par sa fâcheuse tendance à parler souvent en espagnol, sa langue maternelle.

Monica était ce que l'on pouvait appeler une bombe atomique. Elle possédait, étant mexicaine, une peau mate sans le moindre défaut et une chevelure brune et bouclée, allant parfaitement avec sa personnalité. Ses yeux verts entourés de longs cils étaient magnifiques. Malgré ses quelques rondeurs, je la trouvais sublime. D'ailleurs, je n'étais pas la seule à le penser, vu le nombre de conquêtes qu'elle avait à son actif. En plus d'avoir un incroyable physique, elle avait un coeur en or. Je la connaissais depuis la troisième, année de l'arrivée en France de la famille Hernández. Elle était la seule à savoir tout de moi, y compris le contenu de mes surprenants rêves.

-Combien de fois t'ai-je dit de cesser de faire cette natte ? Tes cheveux t'arrivent aux fesses, ont une couleur sublime et sont miraculeusement lisses de nature. Profite de ta chance et défais cette...

-Moni, la coupai-je, la voix grave. J'ai encore fait le rêve.

Aussitôt, la moue exaspérée de Monica s'estompa, laissant place à une expression soucieuse.

-Encore ? C'est pas vrai!

-Je te jure que si. Moni, ça me fait vraiment flipper.

Elle me serra tendrement dans ses bras. Je me laissai aller contre son épaule.

-Cálmate, querida. Tout va bien, d'accord ? Ce ne sont que des rêves, de simples rêves. Allez, file en classe, tu vas être en retard.

Nous n'étions pas dans la même classe. J'avais pourtant espéré de tout mon coeur être avec elle mais mes prières n'avaient bien sûr, pas été entendues. Je m'installai donc seule, au fond de la classe, attendant avec une impatience feinte le début de mon cours de mathématiques. Mon professeur n'étant pas arrivé, je me mis à gribouiller dans la marge de mon cahier. Mon dessin représentait le signe tatoué sur la main de l'homme de mes rêves. Ou plutôt de mes cauchemars. Rapidement, je gommai le dessin. Je me rendis brusquement compte que les chuchotements habituels des élèves avaient cessé. Je me redressai pour voir pour quelle raison mes camarades de classe s'étaient tus. Un garçon parlait à monsieur Girolle. Il n'était pas dans la classe, c'était certain. Pourtant, sa carrure me disait quelque chose. Je l'observai, tentant de déterminer si je le connaissais réellement lorsque ses yeux se posèrent sur moi.

Gris pailletés de violet.

Je sursautai violemment, attirant sur moi quelques regards surpris. Il se détourna. Je secouai la tête. Une illusion, bien évidemment.

-Comme vous le voyez, voici un nouvel élève. Il nous arrive de loin. Je vous laisse le soin de vous présenter, ajouta monsieur Girolle à l'intention du nouveau.

-Je m'appelle Kaleb. Je crois que c'est tout ce que vous devez savoir.

Ce ne fût pas son arrogance que me fit réagir. Non, ce fût sa voix. Sa voix. La même que dans mes rêves. Il se dirigea vers mon bureau, le regard à nouveau braqué sur moi. Il s'assit à côté de moi. J'essayai d'apercevoir sa main mais elle était soigneusement cachée sous son coude gauche. Je fis mine de l'oublier mais j'étais en vérité troublée et apeurée. Ça ne pouvait être lui, impossible. Pourtant, son visage était le même. Exactement le même.

-Eh ! me héla-t-il doucement.

Je ne répondis pas. Il me tira par la manche de mon sweat-shirt à capuche bleu. Je baissai les yeux sur sa main.

Le tatouage était bien là.

Lentement, je relevai la tête. Il m'observait, imperceptiblement moqueur.

Aucun doute, c'était lui.

-Salut, murmura-t-il.

Rêves [ En pause ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant