Vieillesse

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Je regarde par la fenêtre de la salle à manger en poussant un soupir. Il est temps d'aller dehors. Je cherche les aiguilles sur le cadran, je compte sur mes doigts. Il est quatre heure. Le début de l'après-midi est passé. Un peu perdue je réfléchis, il est pile seize heure. Le coucou du pendule va chanter. Entendre sa mélodie me donne la cadence.

Tous les jours, les yeux rivés sur l'écran de télévision je regarde les émissions  en boucle du matin au soir. Les feuilletons m'informent des saisons. Au printemps, en été, en automne, en hiver, ils mettent toujours les mêmes programmes. A force, ce devient moins intéressant. Les informations, elles, n'annoncent jamais de bonnes nouvelles. On vie vraiment dans un drôle de monde. Je préfère allumer ma bonne vieille radio dans le garage.

Je me lève de ma chaise en bois pour aller marcher dans le jardin quand la journée devient trop longue. Au son du jazz et du rock, je me balade dans le jardin les mains croisées dans le dos. Ca m'aide à me tenir plus droite. Chaque jour à cet endroit j'ai rendez-vous avec moi-même.

Lors de ces toutes premières balades quotidiennes, je pensais à ma vie. Ma modeste maison dans un village de campagne. Un bon métier. Des enfants à éduquer avec tendresse. J'ai adoré aimer, cajoler ma famille.
J'ai refait le monde à tant de reprise en imaginant toute ma vie avec des "Si". J'ai compris mes erreurs. J'aurai pu faire certaines choses autrement. Ma vie aurait pu être plus belle. Mais tout compte fait, elle m'a suffit. Les années sont passées si vites.

A présent, j'ai tout mon temps. Les journées durent une éternité. La patience est devenu ma plus grande qualité, la solitude ma plus grande déception. C'est moche de vieillir. Les cinq mètres par trois du jardin me paraissent tel une piscine olympique. A peine rendue à la moitié de la cours je suis déjà à bout de souffle. Mon corps est las de devoir avancer. Fébrile sur mes deux guibolles, je voudrais faire plus, faire plus vite, plus souvent mais ça ne marche pas.
Quand j'essaie, je me blesse. Ma peau est devenue fragile, mes os se creusent, ça me fait souffrir. Je regrette mes jeunes années quand j'étais belle et sûre de moi.

Maintenant, attendre est la seule chose à faire. Les médecins ont plus peur pour moi que je ne suis vraiment inquiète. Cette situation m'exaspère. J'ai une santé de fer. Je ne cesse de leur répéter. Plusieurs dizaines d'année au compteur ce n'est pas rien. Je me fiche d'avoir mal. Tout est dans la tête.
Ils osent me parler d'incohérences. La vie est faite d'incohérences, pourquoi serait ce les miennes ? Je le reconnais ma mémoire n'est pas infaillible. Ca m'arrive de regarder des photos pour me souvenir. Mais il faut me comprendre. Tant de choses se sont passées, je ne peux pas tout retenir. Certains commencent à peine leur vie, j'ai en mémoire toute la mienne. Ils me rappellent seulement à quel point je vieillis. 

Je le sais, mon visage enlaidi me porte préjudice. Une contrefaçon auquel tout le monde croit. Je suis bien plus forte qu'il n'y paraît. Les apparences sont trompeuses. J'aimerais qu'on le voit, qu'on me croit. On ne me laisse plus rien faire.

Je me souviens du jour où mes proches m'ont dit de rester tranquille, c'est à ce moment précis ou tout c'est fini. Je me suis arrêté de vivre depuis bien longtemps à cause de ces rides. Il est tant de me reposer soit disant. A mon goût, ce repos dure bien trop longtemps. Tout ces gens m'arrêtent alors que je voudrais encore tout faire. C'est justement d'arrêter d'être qui me tue à petit feu.

Mes enfants et petits enfants imaginent que je n'entends rien. Mes oreilles fonctionnent encore. J'entends tout et je comprends très bien le français. J'ai le sentiment d'être prise pour une idiote. Pourtant, j'aimerais faire plus de choses avec eux mais ils ne m'emmènent jamais. Je n'ose pas leur demander, je ne veux pas les déranger. A croire que je me suis transformée en fardeau. Ca m'attriste d'y penser.

De là haut quand je ne serais plus vraiment là je verrais peut être leurs regrets.
Dans leurs yeux je vois déjà la fin arriver. Pourtant je n'ai aucune envie de partir. Ils viennent pour se donner bonne conscience. J'espère qu'ils m'aiment toujours un peu.

Entre ces quatres murs, il y a de quoi perdre la raison, j'en ai bien conscience. Dans la cuisine, mon poisson rouge tourne dans son bocal. Je lui donne à manger, ça m'amuse de le voir tourner en rond. Je peux rester des heures à l'observer. Ça m'occupe en attendant la nuit tomber.

Le soir finit par arriver. Une bonne femme me porte mon repas. Assise à ma table, elle me regarde manger puis elle repart. De nouveau, je me retrouve seule. Le coucou sonne dix neuf heures. Alors je vais dans la salle de bain me mettre pyjama. Je ferme la porte de ma chambre à double tour en allant me coucher. J'allume la télévision. Demain, ils annoncent de la pluie. J'aimerais pouvoir aller me promener dans mon jardin pour sentir mes belles fleurs.

En ce moment j'ai peur de dormir. J'entends des murmures dans la maison. Je m'inquiète mais je préfère garder ça pour moi. Je suis sûre d'avoir entendu des pas. La nuit je crois qu'une personne se cache chez moi. Je ne suis pas folle. Son ombre passe de pièce en pièce. En appuyant sur l'interupteur elle disparaît.
Ca m'effraie. Je n'ose pas en parler. J'ai peur de ce qu'ils diront de moi. Alors, je m'enferme dans ma chambre, je me sens plus en sécurité. Bientôt mes cernes parleront pour moi. J'en fais des insomnies ou des cauchemars dans mon sommeil. Quand j'ai de la visite, j'essaie de faire comme si de rien n'était.

Je me réveille le lendemain, la nuit a été difficile. Les cauchemars m'ont envahis. A peine reposée, je vais faire mon café. Je pose mon bol sur mon set de table. Je me connais, j'ai un peu la tremblotte. Dehors, il pleut. Je sortirai demain. En attendant, je ferai mes mots mêlés j'en ai de côté. Je ne vois plus le poisson dans le bocal.
Je marmonne devant mes biscottes quand j'apperçois une tâche rouge sur le tapis. Le poisson a voulu sortir de son bocal. Après mon petit déjeuner, je l'ai mis soigneusement à la poubelle. J'ai fermé le sac pour le mettre dans le contener. De retour dans la salle à manger, la journée a pu commencer, j'ai appuyé sur le bouton de la télécommande. Aujourd'hui on est Mercredi le jour des meilleurs chansons des années soixantes. Toute ma jeunesse.

C.L

Lonelyness essellieiVOù les histoires vivent. Découvrez maintenant