Ciel

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« - C'est quoi le ciel ? »

Cette question je l'ai posée pour la première fois à quatre ans. Le ciel je ne sais pas ce que c'est, la première fois que j'ai entendu ce mot c'était dans les cultures, le plafond semblait briller et Hugo a dit "on dirait le ciel". Mais qu'est-ce que le ciel ? À ce moment-là Hugo m'avait regardé avec un sourire, sans réponse et un regard si triste que j'ai cru voir de la pluie dans ses yeux. C'était il y a quatorze ans.

Je vis à FR785, l'un des trois abris restants de la région de Vithiri. Beaucoup d'abris ont été abandonnés dans les derniers siècles, les pauvres sont morts, les riches sont sur Mars 001V. Peut être que dans quelques années je serai le dernier humain sur cette planète, enfin Hugo sera sûrement encore là, il a toujours été là je crois. J'ai dix-huit ans, cela veut dire que j'ai déjà fait dix-huit fois le tour du soleil depuis ma naissance. On fait un tour tous les 386 jours, un jour c'est 27 heures, c'est long de vivre. Hugo m'a dit que notre planète avait ralenti, à son époque une rotation se faisait en 365 jours et les jours duraient 24 heures, qu'il semble bon d'être éphémère.

J'entends du bruit dans le salon, je me lève et jette un œil, c'est ma mère qui est de retour dans notre quartier. Je la vois tous les jours, je n'ai pas envie de la saluer alors je retourne dans ma chambre et m'allonge sur mon lit. Je vis avec mes parents mais sans frère ou sœur, il faut prospérer à peu. Bien sûr nous ne sommes pas les seuls habitants de l'abri, au total nous devons être une quarantaine. FR103 est moins peuplé, FR211 l'est plus, nous n'avons jamais eu de contact avec d'autres abris, nous ne savons même pas si d'autres existent encore. Je n'ai jamais bien compris pourquoi nous vivons sous terre, je sais qu'il y a quelque chose dehors, c'est les terres craquelées, mais je ne sais pas à quoi elles ressemblent, est ce qu'il y a le ciel là bas ? J'aimerais le voir avant de mourir, je me demande à quoi ça ressemble, il doit briller je pense.

Je m'ennuie, il n'y a rien à faire, il n'y a jamais rien à faire, parfois on me donne une mission comme m'occuper du ménage dans l'abri ou aider à la cafétéria. Tout le monde ici à son rôle, ma mère est affectée au stockage, mon père au générateur. Moi aussi j'aurais un rôle bientôt, je ne le choisirai pas, il me sera attribué en fonction de mes capacités, c'est comme ça.

J'ai fini par quitter ma chambre, ma mère se repose dans la sienne, je traverse le salon et pousse l'épaisse porte blindée qui nous sert d'entrée. Je monte dans l'ascenseur et enclenche la montée, cette machine est si vieille et fait tellement de bruit que je crains toujours qu'elle lâche. Me voilà arrivé au niveau -3, ici il y a la cafétéria, on ne mange pas dans nos quartiers, il faut pouvoir garder un œil sur les provisions, de l'autre côté on trouve les salons, ce sont les seuls espaces de repos communs. Je me dirige vers ceux-ci, c'est toujours là que je trouve Hugo. Il est bien là, assis dans un canapé à tenter de recoudre je ne sais trop quoi. Hugo est le doyen de l'abri, on l'appelle l'immortel, après tout c'est ce qu'il est. Mes parents ont dans la quarantaine mais Hugo a l'air plus jeune qu'eux, ses cheveux sont bien bruns sans un soupçon de blanc, il n'a pas de rides, se porte bien et pourtant il est né il y a 230 ans, en 2004, Hugo connaît le monde d'avant, c'est bien le seul. Je le salue et m'assieds en face.

« – Ah ! Salut bonhomme, tu vas bien ? me dit-il d'un ton chaleureux. »

Je hoche simplement la tête, cette question n'est que de la politesse, personne ne peut prétendre aller réellement bien ici, si nous n'étions pas plusieurs dans cet abri la folie nous aurait déjà gagné depuis longtemps. Hugo me raconte souvent sa vie, c'est une source de connaissance inépuisable. Hugo est différent des autres hommes, il est un "transhumain", c'est à dire qu'il est à moitié homme et à moitié machine, son corps a été tellement amélioré par la science qu'il échappe désormais à toutes les fatalités du réel. Hugo se surnomme lui même ironiquement "Monsieur Martin" une référence à un livre du monde d'avant il paraît, L'homme bicentenaire de Isaac Asimov ou quelque chose qui y ressemble, ça lui correspond bien en soit, enfin Hugo est un homme devenu machine et non pas une machine devenu homme. Le silence s'installe entre nous et j'observe ses gestes attentivement puisque je n'ai rien d'autre à faire, il n'est pas très habile, la couture est grossière, je doute que cela tienne longtemps, il devrait demander à ma mère de le réparer, elle sait coudre ma mère. Hugo pousse un long soupire et sans raison apparente il dit avec nonchalance :

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 15, 2023 ⏰

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