Prologue

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Août 1975

Le gravier crissa sous les pneus de la voiture, une Citroën GS vert vif. De là où Solange s'était postée, en haut de la tourelle du manoir de ses grands-parents maternels à Kermerl en Bretagne, elle ne pouvait que trop bien reconnaître les cinq personnes serrées et recroquevillées dans l'automobile. Elle poussa un immense cri de joie, ce qui lui valut des protestations depuis la chambre d'à côté :

« Solange, tu ne peux pas te taire juste cinq secondes, bon sang ! beugla son grand frère Brieuc.

– Triple idiot ! Oncle Hubert et Tante Capucine viennent d'arriver !

– En vrai ? »

En quatre foulées lourdes, Brieuc rejoignit sa sœur à la fenêtre. Il marchait d'un pas tellement lourd que le portrait du tout premier Foulques d'Artigny trembla dans son cadre accroché au mur. Il bouscula sans ménagement Solange pour voir les nouveaux arrivants :

« Exact. Ce sont bien les d'Artigny. J'espère que Foucauld a rapporté ses maquettes !

– Philippe va rencontrer Alexandra ! » s'exclama Solange d'un ton surexcité.

Le fils aîné d'André de Mont-Frémont se tourna intrigué vers sa cadette, et fronça les sourcils :

« Imagine ils se marient un jour...commença-t-elle.

– Oh mais ce que tu peux être pénible franchement avec ça !

– Mais si ! C'est même Tante Capucine qui l'a dit !

– Je ne pense pas que Tante Capucine ait dit ça. Enfin, réfléchis ! Philippe, Alexandra...Il n'y a pas un petit problème de taille ?

– Ils ont le même âge. Et...ils aiment lire les mêmes livres.

– Tu ne te rends pas compte à quel point tu es...nouille ! Vous n'êtes que des gamins, pensez à autre chose ! Je te laisse, je vais rejoindre Foucauld, il est moins débile que toi.

– Débile toi-même ! » hurla Solange en retour en lui tirant la langue.

Elle s'élança pourtant avec lui dans l'escalier pour rejoindre leurs cousins garés dans la cour du petit manoir de Kermerl, villégiature bretonne du comte et de la comtesse d'Artigny de la Boissière, les grands parents de Solange et Philippe. Au milieu de l'escalier, Solange se souvint que sa cousine Alexandra s'était encore retirée dans sa chambre pour se livrer à des activités contemplatives que la jeune blonde ne trouvait franchement pas amusantes. Qui pouvait s'éclater à lire des bouquins tout poussiéreux ? Qui pouvait éprouver du plaisir en brodant de mièvres petites fleurs sur une toile blanche ? Il n'y avait qu'Alexandra pour aimer ça. Même si c'était sa cousine préférée, fait renforcé par leurs seulement quinze jours d'écart, Solange la trouvait parfois...bizarre.

Comme elle s'y attendait, elle retrouva sa rouquine de cousine allongée sur son lit, les bras tendus devant elle, un livre dans ses mains :

« Je dois mettre la table ? demanda Alexandra sans quitter des yeux la page jaunie qu'elle lisait.

– Non. Je ne sais pas qui doit le faire. Les d'Artigny sont arrivés ! C'est formidable ! Il faut que tu descendes, vite, il faut que tu voies Philippe ! Philippe, il est extrêmement gentil, c'est mon cousin préféré, je t'assure qu'il est formidable ! Allez, pose ce livre tout vieux, et viens dehors ! »

Alexandra resta encore quelques secondes sur son livre avant de se résigner à le poser. Elle se leva, prit son chapeau et son gilet, et rejoignit Solange qui l'attendait dans l'encadrement de la porte.

De mes cendres je renais -- Tome IIIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant