XXVII. Solitude

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Asthar


J'essaie de me concentrer sur les sensations que j'ai récemment découvertes en moi.

Ce n'était pas quelque chose de clair pour moi. L'énergie que j'ai pu ressentir en buvant de l'eau est une chose que j'ai du mal à comprendre, et à accepter.

Je comprends un peu ce que Boggan a voulu me démontrer avec l'estomac. Tout est parti de là, la sensation de soif qui peut enfin s'étancher était suffisamment forte pour que je comprenne. Maintenant que j'ai pu manger et me réchauffer, j'arrive mieux à réfléchir.

J'ai pu déclencher une réaction dans mon corps sans le pousser à l'extrême.

Il est vrai que j'ai déjà été privé de repas. Sauter un repas ne m'a fait qu'apprécier le suivant. J'ai aussi eu soif. Mais jamais aussi soif, alors que j'avais si froid. Maintenant, je suis reconnaissant de ne pas avoir passé cette épreuve dans le désert.

Je n'avais jamais eu conscience du réel bien-être que manger ou boire faisait au corps.

Maintenant, je sais.

J'ai instinctivement compris.

La nourriture est une offrande d'énergie au corps. L'eau est l'essence de la vie. Et les deux sont essentiels en nous. C'est déjà une réaction magique, ce transfert d'un corps à l'autre. Il est simplement tellement anodin qu'on ne s'en rend jamais compte.

Une chose que je ne comprends pas, cependant, c'est pourquoi, une fois rassasié, je ne ressens plus cette énergie. Je devrais la sentir, être rempli ! Mais je ne sens rien.

Je quitte le banquet commun où tous les Draconistes peuvent se restaurer, dans un chalet si grand qu'au départ, j'ai cru voir un palais. Il s'avère que c'est simplement la salle commune des Draconistes, ainsi que son hôpital, aussi. J'ai remarqué que chacun était libre de venir partager son repas avec ses camarades, ou manger chez lui, à loisir. Les cuisiniers ne sont jamais les mêmes, chacun endosse la responsabilité quand vient son tour. Ce qui fait qu'il y a des repas meilleurs que d'autres, mais en soi, c'est toujours bon et revigorant, de manger à leur table.

La plupart du temps, je suis en tête à tête avec Boggan. Les autres Draconistes, au final, me laissent tranquille. Et j'avoue qu'avec mes propres soucis, j'ai bien du mal à aller vers eux pour discuter. Je n'ai pas envie qu'on me parle de magie ou de l'Aïeule pour le moment. Et je ne sais pas non plus qui est en mesure de me répondre. J'ai toujours été réfractaire à la magie. Je n'ai jamais rencontré de magicien, non plus.

Être ici reste ma première expérience en dehors de la citadelle des savoirs de Tohrin Mar, après tout.

Boggan s'en est allé plus tôt que moi, ce soir, sans doute parce que j'étais assez fermé à la discussion, pour le moment. Je ne tarde donc pas à reprendre le chemin vers mon petit chalet. Je pourrais mettre à jour mes notes. J'ai un peu de retard, et cela me videra un peu l'esprit.

C'est en levant les yeux vers les étoiles en commençant ma route que je suis rentré dans quelque chose.

Enfin, quelqu'un.

Plutôt, la seule personne qui n'avait aucune envie de me revoir. Et que j'avais presque réussi à oublier.

Aëna.

Celle-ci, belle comme la nuit, peste. C'est la première fois que je la vois s'emporter.

Bon sang ! Ce n'est pourtant pas dur de marcher droit, scribouilleur !

Je déglutis, gêné. Je ne sais plus comment lui parler. Je n'ai pas envie de l'énerver plus qu'elle ne semble l'être. Pourtant, certaines paroles finissent par s'échapper de mes lèvres.

Désolé. Je ne t'avais pas vu depuis longtemps.

Je me sens stupide. Elle ne me doit rien, pas même une explication. Je sais qu'elle va se retourner et m'ignorer. J'attends simplement que ce soit fait pour rentrer au choix.

Elle se tourne, ne me laissant que son dos et ses long cheveux noirs s'agiter au vent.

Il paraît que tu te débrouilles en magie. Persévère.

Je relève la tête, bredouillant un « merci » de surprise, mais elle est déjà partie rejoindre les autres. J'entre-aperçois, dans la lumière de la porte qui se referme derrière elle, l'accueil chaleureux de ses amis, et vois ses épaules, si droites et raides, se détendre.

Elle est rentrée chez elle, ce soir.

Et moi, je me sens stupide.

Et je dois aller travailler.

Draconistes [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant