« Vous allez voir, vous ne les oublierez pas de sitôt ! » lança le frère cordelier par-dessus son épaule.
Puis il continua sa marche en suivant la torche qu'il tenait à bout de bras.
C'était justement ce que Marcellin craignait.
Ne pas les oublier.
Tout avait commencé là-haut, dans le confessionnal. Une histoire de fidélité, de vie "non conforme", selon le père Lucain. Et voilà qu'il avait "fortement conseillé" de le faire descendre voir "ce que l'âme laisse derrière". Si Marcellin ne s'était douté de rien en empruntant la petite porte, dans un recoin du transept, l'étroit escalier de pierres usées avait commencé à l'inquiéter ; une fois descendu avec le frère qui devait lui servir de guide, c'était pire encore !
Qu'est-ce que je fais là ?
De nouveau - et pas pour la dernière fois - Marcellin jugea la réaction du confesseur exagérée. Enfin, pourquoi envoyer un bourgeois riche, honnête et respecté comme lui, dans ces couloirs oubliés du jour ? Rien que de sombres souterrains, où les chuchotis des courants d'air taquinaient les ténèbres profondes, augustes maîtresses des lieux.
Cette douce matinée avait pourtant si bien commencé. Le salut de l'astre diurne, en caresses sur sa peau, en étoiles blanches sur les caryatides qui bordaient sa fenêtre. Le cri des marmots, le rire des badauds résonnaient sur les pavés et entre les murs de briques, remontant jusqu'à ses oreilles - ce bruissement de la vie citadine qu'il aimait tant.
C'est avec le sourire de l'innocent qu'il était sorti de sa maison, grande et prestigieuse comme il l'avait voulue. Il avait alors contemplé, comme chaque jour, le marbre autour de sa porte, les médaillons d'illustres figures dans les hauteurs, et le toit imposant qui jetait de l'ombre sur les tuiles voisines.
C'est avec le sourire de l'enfant de jadis qu'il avait regardé les bambins jouer et tomber dans les ruelles alentour, jeter des galets dans les eaux, courir après les chats, traquer les lézards dans les trous de boulins et les failles de la terre. Joie de vivre incarnée, ces mômes avaient les cheveux du même or que les blés des campagnes, les joues enduites de la crasse des rives de la Garonne, quelques absences entre les lèvres pour des dents qui fuyaient leur croissance et, royales jumelles au-dessus de tout cela, une paire de prunelles qui tutoyaient le Soleil.
Mais, surtout, c'est avec le sourire de l'homme heureux que Marcellin avait atteint le marché de la Place Royale et son trésor, une unique flamme bravant pour lui le chaos de la multitude : la jeune Mélite au milieu de ses fleurs. La belle Mélite, dont le parfum de violette habitait encore la chair du bourgeois lors de sa visite hebdomadaire dans le confessionnal...
L'homme buta sur quelque chose.
Quelque chose qui s'enfuit en couinant ; le retour à la réalité n'en fut que plus brutal.
- Vous avez des rats dans vos cryptes ? demanda-t-il en tentant de calmer le tremblement de sa voix.
- Nos locaux comptent nombre de résidents inattendus, répondit le religieux avec malice.
- C'est-à-dire ?
- Non, c'est à voir !
Un frisson glacé parcourut le corps de Marcellin, jusqu'à le faire vibrer de tous ses os.
- Êtes-vous sûr que cela est vraiment nécessaire ?
- Votre âme en sortira grandie.
- Mon... Vous... Est-ce la vraie raison ?
- Le père Lucain pense que cela vous est indispensable.
- En quoi est-ce indispensable de voir des...
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Le visage de l'éternité - nouvelles momifiques
Paranormální"Visage serein, Tu dors pour l'éternité Sous écrin de sable." Recueil de nouvelles momifiques. Trigger warnings : description de corps morts, évocation ou description de mort violente.