Chapitre 16 2/2

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"Je pense qu'une pause ne serait pas de trop."

Le policier sort de la pièce et m'apporte un verre d'eau.

Je lève difficilement mon bras. Ça me demande un effort titanesque d'attraper le gobelet en plastique. Le néon grésille. La lumière jaune fait des soubresauts. Les contours flous de l'endroit semblent se rapprocher de moi, comme si l'ombre qui m'entoure ne désirait qu'une chose, me dévorer, m'engloutir.

"Devant ses amis, il se moquait de moi, en général sur mon physique."

Le policier note et attend, comprenant que ce n'est pas tout.

"Il me pointait du doigt pour montrer... que je suis grosse. Et puis ils rigolaient tous ensemble."

Il sort une feuille de son dossier. C'est un schéma de corps féminin, évidemment un corps fin et bien proportionné.

"Peux-tu colorer ou entourer les parties de ton corps qu'il a montrées ?"

Je hoche la tête. C'est comme si à chaque coup de crayon, ses mains passaient sur moi.

"Très bien."

Il tend la feuille vers la caméra puis reprend les questions.

"Est-ce qu'il utilisait d'autres procédés d'humiliation ?"

Dis-lui cette fois ! De toute façon ils finiront par les trouver, les regarder et se moquer !

Je m'apprête à affirmer que non, mais l'image de Denki qui m'attend s'impose à moi. Je ne pourrais plus le regarder en face si je gâche tout.

Alors que mes larmes, séchées depuis peu, se remettent à couler, je hoche la tête.

"Que faisait-il ?"

Ma poitrine semble ne plus vouloir se desserrer. Ma respiration est difficile et irrégulière.

Je répète la phrase dans ma tête, la rumine, la hurle. Mais seulement dans ma tête. Jamais elle ne dépassera la frontière de mes lèvres.

"J'y arriverai pas."

Je sanglote, j'en peux plus. Je ne pensais pas que ce serait si difficile. Ce n'est pourtant pas la première fois que je parle de mon père ou de ce qu'il m'a fait. Mais aujourd'hui, c'est dur. Cette fois, je me rends compte que ce n'est pas si anodin. Le simple fait de raconter ces choses me replonge dans le passé. Je me rends enfin réellement compte de l'impact de tout ce qu'il m'a fait. Ça peut paraître bête, mais je comprends enfin à quel point rien de tout cela n'est normal.

Le policier hoche la tête.

"- Et donc la situation dure depuis quand ?

- Depuis que j'ai cinq ans, quand ma mère est morte. Il a commencé à boire."

Il hoche la tête comme si ça allait de soi.

"- Tu dis que les coups étaient quotidiens, pourtant quand tu allais à l'hôpital tu n'avais aucune trace de blessures anciennes. D'après nos informations, l'alter de ton père aurait pu lui permettre d'effacer tes blessures. Est-ce qu'il l'a déjà fait ?

- Oui, il faisait ça tout le temps.

- Alors comment se fait-il qu'il ne l'ait pas fait toutes les fois où tu t'es retrouvée à l'hôpital ?"

J'ai cette horrible impression qui grandit. Cette impression que de plus en plus, on ne me considère plus comme la victime mais comme l'actrice de mon propre malheur.

C'est de ma faute ?

Il pense que je mens ?

"Ces fois-là, c'est quand il était trop saoul ou trop défoncé pour utiliser son alter."

Dédale de pierre (FR ver.)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant