Le chant de l'océan

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Les vagues dansaient avec le vent, chuchotant dans la nuit.

Le port d'Hally accueillait une centaine de navires marchands, la structure en bois croulait sous le poids des villageois ; excités. Quelques heures plus tôt, la rumeur avait parcouru la ville, attiré la foule. Un navire venant du Nord avait capturé une créature. Une sirène.

L'encre de la nuit se répandait déjà dans le ciel, noir, et les torches éclairaient faiblement la scène. Un gamin me bouscula, ignorant les cris de sa mère qui lui ordonnait de rentrer. Tout le royaume était là, dans un brouhaha de curiosité et d'effroi. Je regrettais presque d'être venu.

Jetée sur les planches du ponton, un filet lacérant ses écailles, la sirène gisait devant nos yeux. Ses cheveux noirs cascadaient sur sa peau, laissant échapper des gouttelettes ci et là autour d'elle. Ses nageoires se tortillaient, aussi sombres et rapides que l'océan.

– Remettez-la à l'eau ! Les autres n'hésiteront pas à la venger si elle dessèche sur nos terres, cria une femme.

– Non, tuons-la ! Elle servira d'exemple, renchérit un moustachu qui brandissait sa torche au-dessus de la sirène.

– Nous ne tuerons personne, Kirk. Les sirènes se cachent depuis des années, dans la peur. La peur des hameçons et des imbéciles dans ton genre. La pauvre petite n'est pas une marchandise, pourquoi l'as-tu pêché ?

La lueur des flammes dansait sur la peau pâle de la créature. L'émeute continuait de débattre, sous le sourire espiègle du croissant de lune. Les sirènes ne remontaient jamais à la surface, ne venaient jamais se perdre sur la terre ferme. Leur existence était une légende, une histoire pour faire rêver les enfants et effrayer les marins. Ces paysans n'en croyaient pas leurs yeux.

Mais moi si.

Le froid me mordait les joues, je partis.

Sur le pont du Soul Of Sea, la mélodie d'une flûte s'élevait doucement, entraînante. Les choppes de grog claquaient au rythme de la musique, laissant échapper une odeur de rhum et de miel. Riant sous les volutes de fumée, l'équipage festoyait leur récente victoire. Assis sur une barrique, son chapeau sous le bras, se tenait fièrement le capitaine. Mon frère.

Vance me tendit une chope lorsque je m'assis à ses côtés. La chaleur de la boisson réchauffait mes paumes, je me détendais peu à peu.

– Ils ont attrapé une sirène. C'est la première fois qu'ils en voient une...c'est un vrai bordel là-bas. Je me suis sauvé avant de savoir ce qui va lui arriver.

– Une sirène t'dis ? Eh, vous entendez, les paysans ont pêché un gros poisson, lança Glen, le vieil ami de mon père.

– Argh, ils ne respectent jamais l'océan. Ils rejettent ses disciples, menacent ses enfants... L'odeur d'la bouse doit leur monter au cerveau. 'sont pas possibles ces bonhommes.

– Du calme, repris-je, je ne pense pas qu'ils vont la tuer. Le commandant du navire marchand veut juste en mettre plein la vue, attirer l'attention... Ils vont la relâcher.

Le son de la flûte s'éteignit dans la nuit, remplacé par les paris. Et alors que les pirates débattaient à leur tour sur l'avenir de cette sirène, le regard froid de mon frère se posa sur moi.

Quand la lune fut trop haute et la nuit trop froide, les hommes regagnèrent les cales. L'hiver s'installait doucement, l'air glacial s'enroulait autour des terres, soufflait entre le pins des arbres. Il était de plus en plus difficile de rester sur le pont. Et bientôt la neige viendrait nous narguer.

La cabine sentait bon, une odeur rassurante de rhum chaud et d'épices. Deux lits décoraient la pièce, un à bâbord, l'autre à tribord. Les vagues se brisaient contre la fenêtre, leur reflet caressant le bureau en chêne juste en dessous. Plusieurs cartes y gisaient, ainsi qu'un portrait au fusain.

Le Chant de l'océan [Concours]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant