Pilote

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« ROUGE ET BLEU SONT NOS COULEURS ! LYONNAIS EST NOTRE CŒUR ! »

L'hymne lyonnais résonne dans le bus officiel qui ramène les joueuses victorieuses de la dernière ligue des champions. La victoire est belle, la manière est là, Lyon est de nouveau de sur le toit de l'Europe et entre un peu plus dans l'Histoire.

Le titre est savoureux autant que le champagne qui coule à flot dans les gorges et dans les veines des Lyonnaises. Wendie Renard et Daniëlle Van de Donk entraînent le groupe dans une danse endiablée qui manque de faire virer le bus. Plongée dans l'instant présent, les Lyonnaises ne remarquent pas que le conducteur s'est arrêté, il y a déjà vingt minutes, sur le parking du grand stade.

Sonia Bompastor rappelle ses joueuses à l'ordre pendant que Camille Abily pousse tout le monde dehors. Les bagages sont rapidement récupérés dans la soute et placés dans des taxis chargés de ramener chaque joueuse chez elle en toute sécurité.

La dernière à fouler le bitume du parking, un étrange sentiment envahit Sonia. Ses yeux parcourent les alentours mais rien ne semble suspect. 'La nuit portera sûrement conseil' espère la coach de l'équipe devenue championne d'Europe pour la neuvième fois, hier soir, face à Chelsea.

Les filles refusent de partir tant que chacune n'a pas une voiture alors elles attendent toutes sur le parking. Le staff de l'OL gonfle leur poitrine de fierté face à cet élan de solidarité, et de famille, qu'aucun club n'est encore parvenu à reproduire en Europe. La fatigue remplace subitement l'euphorie et les corps s'effondrent les uns après les autres sur les bancs ou sur le sol. Les couples s'endorment littéralement l'un sur l'autre. Non loin du bus, Ellie tire sur le bras de Daniëlle, toujours debout et pleine d'énergie. La Néerlandaise cède sous le regard suppliante de son amante et s'assoit à ses côtés. Ellie pose immédiatement sa tête sur son épaule pour l'empêcher de se relever, une demi seconde après s'être assise. Daniëlle gémit légèrement avant que le regard d'Ellie ne coupe toute protestation en embrassant sa joue. Surprise par le geste affectueux, la milieu de terrain se met à rougir et détourne les yeux. Sonia retient son rire mais un sourire presque maternel se dessine sur son visage en constatant la paix confortable dans laquelle ses deux internationales viennent de plonger.

Un anglais à l'accent très américain fait relever la tête de tout le monde. Lindsey est au téléphone. Tout le monde reconnait la personne de l'autre côté du fil. La voix unique de Tobin Heath en personne fait sourire le cœur de Lindsey et celui des autres. Chacune connait le lien entre Tobin et Lindsey. Les secondes s'écoulent avant que la conversation ne redevienne privée lorsque l'Américaine coupe le haut-parleur. Les dernières cris entendus sont ceux de la femme de Tobin, Kelley O'Hara, qui vient de faire connaître sa présence dans le combiné.

Environ quinze minutes plus tard, les voitures sont assez nombreuses pour emmener tout le monde. Camille et Sonia attendent que toutes leurs joueuses soient parties pour entamer la paperasse que chacune d'elle tient en horreur. Armées cafés, les deux anciennes joueuses s'assoient à leur bureau et commencent la partie la moins intéressante de leur travail. Au fur et à mesure que la nuit avance, les yeux tirent sur le papier et l'encre s'envole. Les heures s'étirent et quand Camille et Sonia terminent enfin leur dossier l'aube pointe déjà à l'horizon. Les dos sont douloureux et les cous aspirent à un bon massage. Les coachs quittent le bâtiment administratif et prennent leur voiture respective pour rentrer rapidement chez elle. Il est six heures du matin. Elles savent que dans quatre heures elles reverront leurs protégées sur la place de l'hôtel de ville pour la grande célébration.

Dix heures sur la place de l'hôtel de ville

Toutes les joueuses sont rassemblées devant l'hôtel de ville pour présenter la coupe de la ligue des champions aux Lyonnais. Jean-Michel Aulas, ainsi que certaines anciennes internationales, sont venus assister à ce triomphe. L'équipe passe une par une devant le maire de Lyon. Les poignées de mains sont cordiales à la limite de l'indifférence. Toujours emportées par leur récente victoire, les Lyonnaises commencent à parader avec leur médaille autour du cou. Eugénie Le Sommer défile juste avant Wendie qui est la dernière à se présenter. Les confettis explosent autour de l'équipe au moment où la capitaine soulève la coupe. Les dix kilogrammes paraissent si légers sous le poids de la victoire.

Pourtant, l'ambiance n'est pas celle attendue lorsque l'équipe représentant de la ville remporte la plus prestigieuse coupe en Europe. Les médias ne sont pas là, les Ultras sont à peine présents et les supporters ne sont que quelques dizaines, surtout des jeunes venues prendre une photo avec leurs joueuses préférées ou bien se faire dédicacer leur maillot. Les passants s'arrêtent, curieux du rassemblement autour du logo de l'OL mais reprennent leur chemin, déçus, quand ils s'aperçoivent qu'il ne s'agit pas de l'équipe masculine. Les différentes discussions s'articulent principalement autour du match de ce soir opposant l'OL masculin au LOSC.

Les filles ne comprennent pas. Le président de la fédération française ne s'est même pas déplacé pour les féliciter. Les réseaux restent pratiquement muets hormis les supporters loyaux de l'équipe. Pourquoi tant d'indifférence à leur égard ? Elles viennent de remporter la ligue des champions pour la neuvième fois mais la ville ne s'y intéresse même pas et ne semble penser qu'au match qui permettrait à leurs homologues masculins d'accrocher le milieu du classement de la Ligue 1. Evidemment, les médias ne peuvent pas être aussi nombreux et l'attraction pour le football féminin n'équivaut pas celle des hommes ; mais les femmes méritent-elles d'être reléguer au rang de simples trophées dans une vitrine ?

Les internationales sont confuses et ne comprennent pas non plus. Pour les anciennes championnes du monde, d'Europe et Olympiques, la frustration et la colère sont immenses. Sonia et Camille ont pourtant préparé une surprise pour les leurs. Un écran projette les félicitations de quelques-unes des joueuses les plus connues au monde. Les visages d'Alex Morgan, d'Alexia Putellas, de Samantha Kerr, de Christine Sinclair, de Lotta Schelin, et de Lieke Martens entre autres se succèdent sur la façade de l'hôtel de ville. Les cœurs lyonnais se gonflent face aux mots de leurs coéquipières et amies. Pourtant, cet instant de bonheur n'est de courte de durée lorsque des inconnus, arrêtés pour regarder la vidéo, demandent qui est la première joueuse, avant d'ajouter des paroles obscènes et diffamatoires.

Lindsey, Daniëlle, Ellie, Dzsenifer, Ada et les autres se vident de leurs couleurs. Lindsey réfléchit à toute vitesse. Comment ignorer Alex Morgan ? Pour la joueuse américaine, cela n'a aucun sens. La cérémonie se termine dans la douleur, entre l'indifférence et le mépris. Toutes gardent la tête haute malgré les larmes qui menacent de couler.

Wendie et Eugénie échangent un regard. Elles se comprennent immédiatement. Sans un mot, elles sont renvoyées cinq ans auparavant. L'odeur de la terre de Dallas saute à leurs narines. Les souvenirs reviennent avec leur lot de souffrances. Il y cinq ans, les Américaines ont payé un lourd tribut pour mériter la victoire qui leur a permis de rouvrir leur championnat. Le monde du football semble avoir oublié le prix de la sueur versée pour reprendre leur place dans le sport et reconquérir leur honneur bafoué par la misogynie d'une fédération tout entière. Le football féminin mondial avait participé, de près ou de loin, à cette rencontre. Les amoureux du ballon rond ont-ils oublié le discours prononcé par Hugo Lloris et Kylian Mbappé après la victoire des All Stars face à l'équipe de France, alors championne du monde en titre ?

Lindsey appelle Kelley et Jill Ellis, qui les avaient conduites vers la victoire à Dallas. Jill soupire. Kelley reste silencieuse en saisissant l'enjeu qui est sur le point de s'abattre. Bien qu'elles aient regagné leur droit sur la pelouse du stade de Dallas, le combat est relancé sur la place de l'hôtel de ville de Lyon, pourtant ville érigée comme monument du football européen et mondial. Les deux joueuses et l'ancienne coach américaines sont unanimes :

Tout ça pour ça...

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