Cachée au milieu de la grande forêt, là, en haut de cette colline, l'abbaye sacrée était un havre de paix accueillant les jeunes anges, tout droit venus de Terre, après leur vie.
Nourris, blanchis et dorlotés : ces anges devaient apprendre à grandir dans leur nouvel environnement, tout en apprenant les nouvelles règles de l' Éternité qui s'offrait à eux. Cela leur permettait de devenir des anges complets, des séraphins, des chérubins... Tous découvriraient tôt ou tard leur nouvelle destinée.« Daphne, veux-tu bien récupérer le linge pendu sur les fils ?
– Bien entendu, Dame Ariette. »Dame Ariette, Sainte Nonne depuis sa dernière mort sur Terre, était la plus vieille des nonnes. Pleine de sagesse et de gratitude, Dame Ariette était l'épaule sur laquelle les anges aimaient pleurer. Elle était la paix, la joie et le bonheur à la fois. Pleine de bon sens, l'abbaye était son idée. Elle voulait créer un environnement saint pour ses petits protégés, et faire en sorte que la mort ne soit pas si douloureuse à digérer. Elle élevait les anges à leur apogée, afin qu'ils puissent s'intégrer au mieux à la société angélique.
Elle était une mère, une sœur, une personne sur qui chacun comptait. Néanmoins, Dame Ariette avait aussi ses craintes.
Derrière son air assuré et son visage toujours lumineux et angélique, Dame Ariette ne cessait de s'inquiéter pour cette ange, cette jeune femme au teint pâle, à l'allure lasse, au visage fermé et au regard vide. Elle en avait connu, des anges, Dame Ariette. Cependant, aucun ne lui semblait aussi dur à faire grandir que Daphne. Elle avait quelque chose de mystérieux, de plus profond encore que les autres. Son âme angélique avait un problème, une faille presqu'invisible que peu pouvaient remarquer. Elle était tout-de-même bien là, cette chose sombre, noire et effrayante. Cette chose qui l'empêchait d'être un ange comme les autres. D'être appréciée, comme les autres.
Depuis son arrivée au Paradis, Daphne fut différente. Ces ailes... Ces ailes qui font d'elle un ange étaient frêles, faibles, grotesques. Ne sachant ni comment, ni pourquoi : Dame Ariette et les autres nonnes pensaient qu'il s'agissait d'un châtiment donné par le Grand Sage. Que cette âme fut, un temps, sous l'emprise du Mauvais. Que l'espace d'un instant, elle ne connue que la colère, la guerre et la mort. C'était, par ailleurs, suite à cette réflexion que seule Dame Ariette prit la peine de garder Daphne à ses côtés.« Dame Ariette ? La nonne sortit de ses songes, et observa la jeune femme. Que dois-je faire, ensuite ? »
Son regard lui brisa le cœur. Ces yeux si vides de vie, d'âme, d'émotion... Rien ne s'y reflétait, pas même les rayons du Soleil.
« Pose-les délicatement sur les lits des enfants. Je m'en occupe prochainement. »
Daphne ne fit qu'acquiescer. Dans un lourd et éprouvant silence, Dame Ariette observait du coin de l'œil cette pauvre âme.
Elle n'avait jamais vu de cas similaire, auparavant. Personne ne s'était jamais présenté à elle dans un tel état. C'en était terriblement douloureux.
Elle qui avait toujours eu pour habitude de réussir sa mission, il semblerait que, pour la toute première fois : Dame Ariette n'y parviendrai pas. Sa première âme déchue...
Les âmes déchues étaient des âmes déchirées par leur dernière vie passée sur Terre. Celle-ci fut si éprouvante, si forgeante, si douloureuse à vivre qu'elle marqua pour l'éternité ces âmes tourmentées. Sombrant peu à peu dans la folie, ces âmes, souvent, finissaient par s'enfuir du Paradis et de l'Enfer, pour se recueillir dans le Néant, cachées de tous et de toutes. Pour l'éternité, ces âmes étaient condamnées à errer.
Pour Dame Ariette, il n'y avait aucun doute quant à l'origine de l'âme de Daphne. Sa dernière vie, bien qu'elle n'en ait jamais eu le détail, devait avoir été affreuse à vivre. Une expérience qui marque à tout jamais l'âme, qui la forge ou la perd.
Son cœur se pinça à nouveau un court instant. Se relevant de sa tâche précédente, Dame Ariette se rendit dans la première chambre d'enfant, afin d'y ranger les draps et tissus fraîchement détendus des fils à linge.Et c'est à ce moment précis, là, en montant la dernière marche de l'escalier, qu'elle la vit faire.
Daphne était debout, face à ce chevalet, en train de peindre du bout des doigts cette toile.
C'est ce pourquoi Dame Ariette avait décidé de la garder auprès d'elle.
Daphne était sûrement une âme déchue, mais contrairement à ses semblables, son cœur était encore en train de battre. Sa vie, que Dame Ariette a longtemps pensé finie, n'était en réalité sûrement encore jamais arrivée au dernier chapitre, à celui qui devait conclure toute l'histoire. Il y avait quelque chose de scintillant, de pétillant, brillant de mille feux dans le cœur de cette jeune femme, qui méritait d'être étudié, compris et réparé.
Dame Ariette devait aider cette enfant de Dieu, coûte que coûte.
« Daphne ? »
À l'entente de son prénom, elle sursauta et se retourna rapidement vers la source de cette voix.
« Dame Ariette ! Ce n'est pas ce que vous croyez... Je ne voulais dessiner que quelques détails encore, avant de poursuivre ma tâche. Je suis désolée, je n'aurais pas dû... Elle baissa sa tête, son regard toujours vide.
– Tu n'as aucunement à t'excuser, ma fille. L'avance que tu as pris en nettoyant les chambres des enfants ce matin t'a permis de gagner un peu de temps pour toi. Ne pense pas que tes tâches se doivent d'être fait à la seconde près, je suis bien trop vieille pour m'attaquer à plus jeune que moi ! La nonne rit.
– Je suis désolée...
– Allons. Cesse de l'être, tu veux ? Je crois en l'erreur et en sa réparation. Ce n'est rien, ma fille. Va donc t'amuser un peu, tu as fini pour aujourd'hui. »Sur cet ordre bienveillant, Dame Ariette, ses yeux se plissant sous son sourire angélique, vit un court instant de l'hésitation dans les yeux de Daphne.
« Que se passe-t-il, Daphne ?
– Dame Ariette... Quand aurais-je la possibilité de rejoindre la société angélique, à mon tour ? Tous les anges de mon âge y sont déjà, ou sont en train de finir leur préparation. Elle se tourna en direction de la fenêtre, et observa les environs, incertaine. Pourquoi suis-je encore là, moi ?
– Oh, Daphne... Je suis terriblement désolée, mais tu n'es pas encore prête à sauter le grand pas. Un jour, tu le seras, tu y arriveras. Ce jour n'est simplement pas encore venu, ma chère...
– Pourquoi suis-je si différente des autres, Dame Ariette ? Pourquoi, lorsque les gens me regardent, ils semblent tous être étonnés par mon apparence ? Ce sont mes ailes, Dame Ariette, qui effraient les autres ?
– Daphne, la différence n'est pas un défaut, mais une qualité unique que chacun possède. Nous ne sommes pas tous pareils. Si les autres anges te paraissent effrayés par toi, peut-être que tu ne les regarde pas du bon œil ? Ne penses-tu pas que certains pourraient être admiratifs de ton courage ?
– Mon courage ? Qu'a-t-il de si spécial ?
– Il est la preuve que tu persistes, que tu te bats. Tu ne dois jamais abandonner, tu m'entends ? Jamais.
– Pourquoi cela ? Que m'arriverait-il ?
– Ma fille, je ne peux pas tout te dire, ni tout te montrer, mais tu ne dois pas finir comme les âmes déchues. Là n'est pas ta destinée, j'en suis persuadée.
– Puis-je continuer à peindre, alors ?
– Avec toute mon approbation, Daphne. »
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L'appel de l'Ange
RomanceIl ne suffit que de tendre l'oreille pour entendre cette petite voix, discrète, chuchotant au loin, comme le souffle du vent, qui guidera quiconque l'écoutera vers la Lumière.