Chapitre 5

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Le bruit d'une porte grinçante qui s'ouvre me réveille. Ça vient de dehors. Je quitte mon lit et me dirige vers la fenêtre qui donne sur la cour arrière où se trouve un petit cabanon. Je vois mon père. Que fait-il là à huit heures du matin ? Il y entre avec une boîte de laquelle dépasse la tête de son vieux violon, celui que j'ai fendu aux funérailles. Il fait un deuxième voyage et cette fois c'est le clavier de Samuel qu'il entre dans le cabanon. Quand il referme brusquement la porte, il s'arrête et plonge son visage entre ses mains. Il pleure ? Ensuite, il rentre dans la maison. Moi je reste là à observer le cabanon comme s'il renfermait un démon.

Le violon. Étrangement, son absence me déstabilise. Je ne l'ai jamais aimé, mais le savoir autre part que dans ma chambre me trouble. Le fait que mon père l'ait rangé dans le cabanon me trouble aussi.

Je jette un coup d'œil à mon réveil et y voit que c'est le temps que je me prépare pour l'école. Nous sommes jeudi. Normalement, mes grands-parents viendront pour le repas du soir. Ils font ça une semaine sur deux. Je me demande s'ils seront là, même si je n'ai pas nécessairement besoin de les voir car je les trouve dépassés et égoïstes.

Journée longue.

Cours ennuyants...

Une crise de panique dans les toilettes

Une journée parfaite...

* * *

JOURNAL DE SAMUEL :

Bonjour, cher,

Tu es bien chanceux de ne pas vivre de soupers en famille. C'est de la torture, même pire que tout ce que je pourrais m'infliger.

Ce soir, premier jour de cette nouvelle année, mes grands-parents sont là -j'ai supposé que j'allais aux toilettes pour pouvoir t'écrire- et avec eux, ça ne rigole pas. Ça ne rigole jamais chez moi, mais là, ça a même arrêté de rigoler dans le reste du monde. Pour mes grands-parents, il n'y a qu'une chose qui compte : le prestige. J'ai longtemps cru que c'était l'argent, mais maintenant, je sais que si le prestige devenait synonyme de pauvreté, ils obligeraient Père et Mère à vendre la maison pour que nous vivions dans la rue. Quoi que... ça ne serait pas plus mal au final. Je me battrais pour rester en vie, plutôt que pour pouvoir mourir en paix.

*

J'ai une haine pour l'âge adulte. Pardon. Tout d'abord : salut...

Je ne capte pas très bien ce qui se passe dans leur cervelle pour que les grandes personnes soient capables de tout foutre en l'air avec une telle aisance. Moi, je ressens toujours cette foutue culpabilité, il y a aussi cette hésitation, ce : y a-t-il une autre façon de s'en sortir ? lorsque ma peau se rompt, alors qu'eux pourraient se couper le bras entier et le bouffer sans se poser de question. Malheureusement, ils font encore pire. Au lieu d'abîmer leur corps, ils déclenchent une guerre mondiale dans leur âme. Ça se termine toujours par une bombe nucléaire.

Mais qui suis-je pour les critiquer ? Peut-être que je ne suis pas toxique de l'intérieur, mais je ne fais rien pour contrer leur radioactivité. Je ne fais que la subir. Le pire dans tout ça est que je t'en parle, que je suis conscient de la toxicité de ce monde. Mais je suis le soluté dans ce géant solvant. Je suis cette aiguille dans la botte de foin (aiguille rouillée inutile). Je suis l'acteur que tout le monde prend pour le personnage chiant qu'il incarnait. Bref, autant dire que je n'existe pas.

Si seulement c'était le cas.

* * *

Alice et moi marchons vers la maison, les cours sont terminés. Je ne suis pas habitué que l'on rentre ensemble. C'est la première fois, car en général, Alice reste avec des amis. Il y a un silence entre nous, seulement rempli par la fumée de sa cigarette et la vapeur de notre souffle. Comme d'habitude, elle a avec elle sa guitare électrique dans son étui.

RespireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant