Chapitre 1

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À Arthur, à Alice ou à toi, qui lis cette lettre,

Si tu l'as trouvée, alors tu connais mon ami Soul. Je sais, je ne suis jamais venu faire mon concert. J'en avais marre, je voulais partir... mais je ne pensais pas partir si tôt et pas de cette façon.

Je te laisse aussi ce journal. J'y ai caché mes secrets. Fais-en ce que tu veux, mais ne fais pas comme moi. Bats toi. Sois le vent qui changera cette neige en tempête.

Je crois en toi.

De votre frère, ou peut-être d'un inconnu, qui sait

* * *

-Si les membres de la famille du défunt veulent laisser parler leur cœur, qu'ils se lèvent.

Le prêtre affiche un sourire bienveillant en notre direction et nous incite à le rejoindre. Olivier, Marguerite, Alice et Arthur Cello. Mon père, ma mère, ma sœur et moi. Nous sommes les membres de la famille du défunt.

Le défunt, c'est mon frère. Samuel. Ou plutôt, le mort, le suicidé !

Il y a un silence de mort qui contraste avec le vacarme en moi. C'est un silence comme Samuel les aimait. S'il avait fait un testament, je suis sûr que c'est ce qu'il aurait voulu : des obsèques silencieuses.

Je divague. C'est pour oublier. J'ai cette image imprimée à même la chair de mon cerveau : L'arbre, la corde, son visage, son sommeil...

J'en oublie que j'ai un violon posé sur mes genoux. Celui de mon père. Je l'ai apporté aux funérailles pour une raison bien précise que tout le monde ignore, mais je fais comme si de rien n'était et je rejoins le prêtre sur son promontoire.

« Oui, je serai la tempête, Samuel. »

Personne ne s'y attend. Je lève le violon haut dans les airs, à bout de bras. Je vais le laisser tomber et il va se briser. Oui ! Ce sera un symbole : non, Arthur Cello ne sera pas un musicien !

Soudain, je paralyse. Je sens une larme me piquer la joue. Foutu trac ! Celui-là ne me rend jamais visite au bon moment.

-Est-ce que ça va, Arthur ?

Je ne réponds pas à ma mère et honnêtement, je l'entends à peine, tant les battements de mon cœur se font forts entre mes deux oreilles. C'est fou : les émotions figent le corps, malgré leur force et leur violence. J'essaie de battre ma paralysie pour parler, crier, sauter, dire ce que je pense. Lentement, j'arrive à bouger mes doigts, ceux qui agrippent le violon. Je réussis à le laisser tomber sur le sol. Dans un accord dissonant, le dos de l'instrument se fend.

Tout autour, on commence à se réveiller dans un murmure d'incompréhension et on me regarde, mais ça ne me fait rien, je ne connais pas la plupart des gens qui assistent aux funérailles de mon frère. Ce sont sûrement des organisateurs de concerts ou des professeurs réputés de piano. Moi j'ai presqu'envie de sourire et je le montre aux seules personnes à qui j'ai destiné ce geste : Marguerite et Olivier Cello, ainsi que ses parents à lui. Je me tourne vers ce qui reste de mon frère : une urne qui contient ses cendres.

« Je l'ai fait ! As-tu vu, de là où tu es ? »

Mon père me rejoint sur le promontoire. Nous nous regardons un instant. Je passe une main sur ma joue pour essuyer ce qui reste de mes larmes. Ses yeux à lui aussi sont humides. J'y décèle, certes, une once de compatie, mais elle est enfouie sous de la rancune et de la peur envers le fils qu'il lui reste. Il sait enfin ce que ça fait d'être effrayé. Samuel s'est enlevé la vie, Alice fûme, eh bien moi je ne ferai pas de musique. Que vas-tu faire, Olivier, avec trois enfants sans espoir –et mort, pour un des trois ?

-Dans la voiture.

Pas de hausse du ton, pas de voix tremblante. Juste un vent glacial, une voix monotone et frigorifiante. Cette fois, pourtant, je ne me laisse pas abattre :

-C'est ça, tu ne veux pas que les autres voient que l'on ne te rend pas fier ?

-J'ai dit : Dans la voiture. Maintenant, Arthur.

Ma mère s'approche de nous.

-Olivier, nous réglerons ça une autre fois...

-Ce n'est pas vrai, maman, ne dis pas ça. Tu sais que c'est faux ! Toi et papa ne réglerez rien, il n'y a pas d'autre fois. De toute façon, qui de tous ceux ici connaissait vraiment Samuel, hein ?

Mon père ne répond pas, sûrement trop en colère pour parler. Ma mère, elle, essaie de trouver une solution, de nier ce que je dis.

-Il y à toi et nous tous –elle montre ma sœur et nos grands-parents d'un geste du bras. Et tous ces gens qui...

-Qui tout comme vous n'ont jamais vu en Samuel qu'un pianiste, une bête de foire ! Maintenant, il n'est plus là, il est mort ! N'y a-t-il pas autre chose que la musique qui compte ? On n'a jamais été une famille. On dirait que vous voulez que tous vos enfants fassent comme lui !

-ASSEZ !

Je sais que le moment n'a duré qu'une fraction de seconde, mais j'ai l'impression qu'il en a duré bien plus. J'ai le temps de voir la main de mon père se rapprocher violemment de mon visage. J'ai fermé les yeux au moment où la douleur s'est faite sentir. Ça a commencé sur ma joue, mais ça a pénétré ma peau pour se rendre à mon crâne, puis mon cerveau et ensuite descendre dans ma gorge et enfin atteindre mon cœur. C'est comme laisser un petit couteau tomber le long de ma trachée pour qu'il vienne se planter directement dans mon organe vital. Au bout de ce petit couteau est attaché un petit mot :

« Mon père m'a giflé »

* * *

JOURNAL DE SAMUEL :

Qui es-tu ? Je ne suis pas ravi de te rencontrer. Pourquoi est-ce que je t'écris, alors que c'est le psychologue qui me l'a proposé ! Tu es une prescription, un moyen de régler mon problème, de me régler. Mais qu'est-ce que j'ai ?

Psychologue ou non, il est comme eux : Travailler, payer, mourir. Tout ce qu'il m'a donné, c'est toi. Et toi non plus, tu ne peux rien pour moi : tu es un journal. Je préfère encore parler avec « Soul », mon seul vrai ami.

*

Journal ?

Je te sors finalement de mon tiroir car je crois que je voudrais bien te partager ma vie. J'en ai besoin. Alors comment on commence :

Hum salut ?

Aujourd'hui, j'ai juste utilisé le rasoir pour ma barbe. Je suis allé au café du coin, sûrement pour faire comme tout le monde, me sentir comme tout le monde. J'y ai vécu quelque chose d'assez cliché : j'ai rencontré quelqu'un. Ce n'est que le nouveau serveur, mais bon. C'est lui qui m'a servi mon café vanille française. Il s'appelle Léonard, mais il m'a dit qu'il préfère Léo.

J'ai peut-être trop d'espoirs qui tomberont comme les feuilles de Soul. 

RespireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant