Épisode 19 - Un visiteur indésirable

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Lorsque Valentina revint à elle-même, il était encore tôt. Les premières lumières du jour se laissaient à peine deviner à travers les grands voilages superposés. Seule Ophélie se trouvait dans la chambre. Elle lisait, profitant de la douce lumière que dégageait une petite veilleuse, bercée par la respiration jusqu'à présent régulière de la jeune endormie. Les paupières de la dormeuse s'étaient mises à papillonner gracieusement quelques instants avant de s'ouvrir plus posément.

Ophélie posa discrètement son livre, attendant que la jeune femme découvre sa présence tranquillement. Valentina observa d'abord les sensations d'endolorissement qu'éprouvait son corps. Elle n'essaya pas de bouger ses membres, pas encore. Elle se sentait apaisée. Navigant encore entre deux eaux, elle remarqua le poids réconfortant de l'épaisse couette matelassée qui la recouvrait. Elle se mit ensuite à balayer la pièce en bougeant à peine la tête jusqu'à ce que ses yeux s'accrochent à deux prunelles aux nuances improbables roux-oranger appartenant à une femme non moins irréelle dont la peau était noire et velouté comme la nuit.

Qui êtes-vous ? s'étonna-t-elle d'une voix faible et éraillée.

— Euh... Une amie... hésita Ophélie, ne souhaitant pas la brusquer après les épreuves qu'elle venait de subir.

— De quoi te souviens-tu ? reprit-elle, un grand sourire aux lèvres, se réjouissant de la voir enfin revenir à elle.

Valentina n'avait pas la force de répondre. Elle était encore si fatiguée ! Elle se fit la remarque que cette femme était si extraordinairement belle, qu'elle devait bien être encore en train de rêver. Ses paupières encore si lourdes le lui confirmèrent. Elle n'eut d'ailleurs pas la force de chercher à mieux voir. Elle préféra se laisser de nouveau fondre dans le sommeil. Ses paupières s'abaissèrent avec une infinie délicatesse et elle glissa dans les limbes de l'inconscience.

Elle fut immédiatement projetée dans une expérience de voyeurisme malaisante dont elle était elle-même la cible. Elle revisita notamment une série de séquences vécues. Tantôt elle se trouvait dans sa chambre debout devant la fenêtre. Tantôt elle se voyait de dos en train de faire ses devoirs attablée à son bureau.  Étonnamment, elle ne se voyait que depuis le trottoir d'en face ou d'un appartement appartenant à l'immeuble qui faisait front à sa maison familiale.

Dans une autre séquence, elle s'observait lors d'une sortie avec des amies de l'université. Elle se voyait de dos, reconnaissant le manteau en fourrure synthétique beige qu'elle adorait. Si elle reconnaissait chacune de ces scénettes pour les avoir vécues, elle ne les incarnait pourtant jamais. Elle ne put éviter de se rappeler de la sensation récurrente qu'elle avait eu à une période de se sentir épiée. À l'époque, elle s'en était d'ailleurs ouverte à ses parents qui l'avaient rassurée. Ils étaient alors persuadés qu'il s'agissait d'un symptôme d'anxiété passager. Elle apprit ensuite à vivre avec cette désagréable impression.

Puis une scène d'une nature très différente fit effraction. Elle se regardait dans un vieux miroir poli, mais au lieu de voir son visage, elle apercevait celui de Vladimir. Elle se trouvait dans la chambre du manoir, mais le mobilier était différent, plus riche. Elle sut alors qu'elle était de nouveau projetée dans le décor de l'étrange songe qu'elle avait fait quelques nuits auparavant.

Une effluve à l'accent floral automnal envahit ses narines, lui chatouillant le nez avec délice. Une texture douce et veloutée comme une caresse saturait la pulpe de ses doigts. Un goût douçâtre et légèrement vanillé parcourait ses papilles. Lorsqu'elle ouvrit ses yeux, son visage se trouvait au milieu de boucles blondes soyeuses. La femme blonde au sablier ! Cette fois-ci, ses cheveux étaient lâchés et elle était en train de les brosser. Elle se tenait assise sur le tabouret, en train de regarder Vladimir à travers son miroir psyché qui reposait en face d'elle sur son bonheur-du-jour. Ils se dévoraient du regard, se consumant de désir l'un pour l'autre. Lorsqu'il s'approcha de nouveau d'elle, elle tendit son cou et elle eut la sensation de ses dents qui traversaient l'épiderme millimètre après millimètre jusqu'à trouver la jugulaire. Elle sentit le liquide vital affluer en elle, réchauffant son corps froid et ralenti. La sensation était si exquise, qu'elle se sentait en extase. Tout son corps se mit à trembler d'émotion. Alors que l'image s'évanouissait, elle cherchait à la retenir. Son corps n'était pas rassasié. Il en voulait encore. La vitalité de ce précieux fluide à la texture sirupeuse et au goût ferreux animait sa propre chair avec tant de grâce qu'elle se serait damnée pour que ce moment dure éternellement. Le cou de la belle continua de s'évanouir lentement, ne laissant plus à Valentina que le regard de Vladimir qui la fixait sardoniquement à travers le miroir. Valentina comprit alors qu'elle n'était pas en train de faire un rêve ordinaire.

Valentina et les vampires - partie 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant