LASZLO
- J'ai changé d'avis.
Je souffle sur une mèche retombée sur le verre de mes lunettes lorsque je redresse la tête vers le visage blême de Keira qui se tient devant moi, ses doigts précieusement enroulés autour de sa cravate d'uniforme. Toujours occupé à ranger le restant de mes affaires dans mon sac, tandis que ma classe est en train de sortir dans un mélange de rires et de soupirs exaspérés quant à leurs prochains cours, je prends soin de garder le silence. Après une journée aussi complexe que l'autre jour, surtout depuis l'incident des toilettes, je n'ai pas cessé de penser à ce que Keira s'était fait et surtout...
Si j'allais la retrouver le lendemain, toujours en vie, malgré ma promesse de ne pas en parler à qui que ce soit.
Pourtant, le lendemain, elle était là. Plus légère, même. Je l'avais même surprise à parler aux jumeaux Bassili qui partagent sa classe sans leur dire d'aller se faire mettre.
Je ne pense pas avoir été aussi rassuré que ça, une seule fois dans ma vie.
- J'ai pensé à ce que vous aviez dit, l'autre jour, reprend-elle quand le dernier élève franchit le pas de la porte, nous laissant seuls. Et... Je pense que vous avez raison de... De devoir en parler.
Je fige ma main sur le rebord de mon bureau et redresse enfin le regard vers elle. L'adolescente semble peut-être plus légère, mais ses yeux sont toujours brillants de larmes. Elle s'empresse néanmoins de renifler le plus discrètement possible afin qu'ils ne dégringolent pas le long de ses joues et poursuit, armée d'un sourire combattant :
- Pour être tout à fait honnête, je ne sais même pas par où commencer, ni pourquoi je viens ici pour vous le dire, mais... Je pensais que vous aviez besoin de le savoir. Après tout vous... Vous avez été là, pour moi.
Je détache mes dents de ma lèvre inférieure et hoche légèrement la tête avant de contourner ma chaise pour me rapprocher d'elle. Les manches de son pull sont encore bien enfoncés dans le creux de ses paumes et je sais qu'ils vont le rester jusqu'à ce que ces marques disparaissent définitivement de ses bras.
Probablement jamais.
Je jette un coup d'œil sur la porte, attentif à la moindre entrée avant de murmurer, les bras croisés sur mon torse :
- Je ne t'ai pas dit tout ça pour que tu te sentes forcée de faire quoi que ce soit. Tu n'as rien à me prouver, Keira.
- Je sais. Mais je pense que... Que je le dois à moi-même.
Un sourire commun apparaît sur nos visages et elle enchaîne en haussant les épaules :
- Comme je l'ai dit, je ne sais vraiment pas par quoi commencer. Je ne sais même pas si cette... Motivation, va rester indéfiniment et si demain, je vais penser la même chose qu'aujourd'hui.
- C'est ça qui est merveilleux, tu ne trouves pas ? De ne pas savoir ce qu'il va se passer demain ?
- Je suppose.
Après lui avoir accordé un énième sourire, je reviens à mon bureau et attrape un carnet vide ainsi qu'un crayon que je lui tends.
- Je sais que toi et ta classe vont bientôt partir pour l'Oregon, et crois-moi, vu ce qu'il s'est passé, je te recommanderai de rester ici, mais je n'ai aucun pouvoir là-dedans... Je te donne ça, en attendant que tu reviennes.
- C'est pour vous ramener d'autres dessins d'arbres ? marmonne-t-elle en les saisissant délicatement, un sourcil arqué sous la méfiance.
- Des arbres, des poèmes... Ou tout simplement chaque pensée qui te force à te faire du mal. Je veux que tu notes tout dans ce carnet, quand tu en as besoin, au lieu de le faire. Ce sera ça, ton début. Parce que vois-tu, le plus compliqué dans la recherche d'aide, c'est de trouver les mots qui puissent définir ce que tu ressens. Les psychologues auront beau défiler et te donner un tas de diagnostics aux noms inquiétants, ils n'auront aucun sens si tout ce que tu recherches c'est une délivrance médicamenteuse. Ce ne sera vraiment pas différent des lames de rasoir, à la seule exception près que si tu meurs, c'est à cause du système pharmaceutique de ce pays.
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Once, We Flew.
Storie d'amore1986 : Gaslight Fields, Texas. Un fermier fou. Des cages remplies d'enfants. L'odeur de la mort. Le bruit des pelles qui retournent la terre. Les cadavres. Tous ces cadavres... Giulia Matip, l'une des seules survivantes du massacre, n'a jamais su...