Virée dans l'ouest

Vendredi soir

Chapitre 1

Vendredi soir

Mont-Saint-Pierre, Gaspésie

Le poêlon frétillait, à l'intérieur, les saucisses fricotaient sous les coups de poignet de Vincent. Il adorait cuisiner, sur la cuisinière deux autres casseroles mijotaient. Dans l'une des oignons et des champignons sauvages caramélisés se câlinaient dans une graisse de canard, remplissant la pièce d'un parfum d'antan typique des cuisines de nos grand-mère. Dans l'autre, des patates étaient mélangées à des carottes pour en faire un écrasé, auxquels il viendrait apposer du beurre et une coulée de sirop d'érable. Il en mettait partout, sur les gaufres, dans les potages, dans son thé l'hiver. Depuis tout jeune avec son grand-père il allait à l'érablière, au printemps pour s'occuper des sucres. Cette année avait été remarquable. Sur le comptoir des légumes découpés et assemblés harmonieusement formait une salade de concombre fraîche qui complèterait son assiette.

Ce soir, Vincent allait fêter son anniversaire, déjà 27 ans. La trentaine bientôt et il n'avait toujours pas d'enfant. Sa job, il l'avait décroché à 16 ans... Une décennie de "passée dans le beurre" comme aurait dit sa mère. Dans sa tête les questions fusaient. Une douche lui changerait les idées.

Ding. Un bruit de notifications le fit revenir sur terre.

- Yess, Qu'est tu fais ?

- Pas grand chose. Je viens de finir de manger. Toi ?

- Pareil. T'es tu prêt mon homme ?

- Je saute dans douche, pis je suis prêt dans 45 minutes. C'est good ?

- Parfa ! j'va venir te chercher. Ciao

- Ciao

C'était Félix, son meilleur ami. Une vraie Bromance. Ils fêtaient toujours leur anniversaire ensemble, depuis tout petit. Deux jours seulement les séparaient et Vincent aimait lui rappeler. "T'es trop jeune, tu devrais pas faire ça, tu vas te faire mal !" C'était sa phrase préférée. Ils étaient tous les deux pures souche, nés à la même place, pendant le même cycle lunaire.

Un vendredi soir, à Mont-Saint-Pierre, ça ressemblait à quoi ? Hé bien à pas grand chose. Ils s'accoudaient au comptoir du bar du coin pour aller "lever le coude" ou passaient leurs soirées d'étés sur la plage, un feu et des amis pour se réchauffer. Une vie simple, syndrome d'un petit village subissant l'essoufflement de la Gaspésie, dans une époque à couper le souffle. Tout allait si vite maintenant, en ville c'était encore pire, le bruit , les passants et les lumières qui ne dormaient jamais. Pour Vincent, l'eau apportait toujours son lot de questions. Celle de la douche, coulait tranquillement dans un flot continu. Perpétuel.

Trois coups de klaxon retentit. pim pim pim Propre comme un trente sous, fin prêts pour le bar. Félix était là dans son truck.

Encore sous la pluie de la pomme de douche, Vincent rinça ses cheveux et tourna le robinet. Serviette, boxer, bas, pantalons, chandail, chemise et parfum dans cet ordre. Un petit coup de peigne et Vincent était déjà embarqué dans le véhicule.

Les deux s'échangèrent des souhaits d'anniversaires dans une accolade chaleureuse et Félix prit la direction du bar DuMonts en se débouchant une bière de route.

***

En arrivant sur place, la musique fracassait les murs et déchirait le petit pub d'un bout à l'autre. Les lumières bleues, tamisées éblouissaient les visages des périlleux naufragés, ceux qui n'oserait jamais jeter une bouteille à la mer. Une table de pool inoccupée flânait derrière. L'endroit était presque tragique.

Félix demanda à la barmaid.

- Deux rhums and coke !

- Tout ce que tu veux, mon beau blond. susurra Cindy.

Les deux s'étaient mis en couple, un mois ou deux. Maintenant, ils couchaient ensemble les soirs de pleine lune, quand ça leur adonnait.

- Bonne fête. enchérit-elle, en se mordant la lèvre.

- Ah toé, commence pas... Tu sais ce que ça donne !

- Justement, répondit-elle langoureusement.

Elle sourit. Puis, il fit un clin d'œil et alla s'asseoir avec son âme-frère.

Vincent et Félix jasait la belle lurette, une bonne heure avait transpercé l'espace-temps et des amis s'étaient joints à eux. Malgré les nombreux visages familiers, une poésie de peau détonnait. Qui était-elle ? Sûrement une amie d'un ami. Vincent la trouvait belle. Une brise d'été. La neige commençait à peine à fondre et ça faisait du bien. Il avait toujours aimé sa fête, elle qui arrivait quand bourgeonnaient le renouveau.

La bande accumulait les verres qui prenaient en otage toute la surface de la table. Vincent en prit plusieurs et les apporta à Cindy. Il avait commandé deux shooters, un pour lui l'autre pour la petite brunette. L'angoisse d'aller la voir et de lui parler allait sans doute s'évaporer après un peu d'eau de vie.

Au bar, dans un habit plutôt chic, une tête inconnue dégustait un ballon de cognac où deux glaçons baignaient dans l'alcool sirupeux. Il ne l'avait jamais vu ni au bar ni au dépanneur. Nulle par ailleurs, non plus.

- Trois finalement , Cindy. SVP

- Ok.

- Vous en voulez un ? demanda Vincent à l'homme inconnu.

C'était coutumes de bien accueillir les étrangers à Mont-Saint-Pierre

- Oui. Merci mon gars. Je suis de Gaspé. Toi tu viens d'ici ?

- Ouais, j'ai grandi ici ! Je me voyais au cégep de Matane. Finalement je n'ai jamais quitté la plage.

Directement en face du bar, de l'autre côté de la rue principale s'étendait une plage de galet fin et de sable gris qui couronnait une baie, surplombée de deux monts escarpés.

- J'ai vu ça. Méchante belle place pour un foodtruck !

- Tu penses ? Tiens santé, laissa glisser Vincent en approchant le shooter vers son interlocuteur.

- Santé, répondit-il.

L'homme s'avérait être un entrepreneur, dirigeant une franchise de foodtruck à Gaspé. Un enseigne qui mettait en valeur les produits de la pêche du coin et les aliments locaux. Il venait de Montréal. Vincent lui avait déballé tout de sa job sans but, sa rupture d'il y a 4 ans qui manifestement faisait toujours mal. Il l'avait présenté à tout le monde. Les heures fila, il en avait même oublier la jolie jeune femme qu'il voulait aborder. Après tout... c'était plus facile de fuir la réalité.

Trois pichets de bière, 4 heures et un paquet de cigarettes plus tard. À 3h47, ils avaient un deal. Vincent quittait la centrale d'éolienne et s'achetait un foodtrucks, le tout financé par Mr Veston-cravate en personne. Il ne suffisait que d'un acompte de 7000$