2. Kitashi (2/3)

24 3 21
                                    

L'Université de Kyoto était à plus d'une heure et demie de trajet du mont Ōeyama si on tenait compte de la circulation. Kitashi arrêta la voiture devant le portail piéton de l'établissement, moteur en marche. Le flux d'étudiants contourna le véhicule pour se diriger tranquillement vers les bâtiments en brique bordeaux. Au bout de la rue, un torii vermillon marquait l'entrée du sanctuaire Yoshida -jinja. Iwasaki descendit du véhicule avant de s'emparer de sa veste sur le dos de son siège. Kitashi y posa son bras pour se pencher vers son collègue :

« Ma sœur a fait ses études ici, c'est plutôt grand. Ne te perds pas. »

Le sourire que provoqua sa recommandation provoqua des picotements dans ses mains. Iwasaki haussa les épaules tout en rendant leur salut à un groupe de jeunes étudiantes.

« T'inquiète pas pour moi, va. Je vais bien trouver quelques âmes charitables pour m'indiquer le chemin. »

Ça, Kitashi n'en doutait pas. L'horloge penchée sur la tour de la faculté indiquait midi moins le quart, et il ne serait pas étonné que son coéquipier profite de l'occasion pour se fondre dans un groupe et se faire offrir à déjeuner. Ce n'était pas difficile pour lui, en plus de son charme naturel, il paraissait bien plus jeune que sa trentaine bien tassée.

« Tu devras te débrouiller pour rentrer si tu as terminé avant que je ne revienne.

— Ça marche. Sois prudent sur la route. »

Kitashi ne répondit pas. Il se contenta de remonter la fenêtre côté passager et de faire demi-tour, passant encore une fois par le quartier résidentiel aux haies propres et aux fleurs de cosmos fraîchement écloses, tout en savourant les mots de son coéquipier. C'était le genre de choses qu'on disait lorsqu'on tenait à quelqu'un, et ça le préoccupait, d'autant qu'Iwasaki les prononçait pour lui.

Si ça n'avait tenu qu'à lui, Kitashi aurait d'abord déposé Iwasaki au sanctuaire Matsunoo-taisha, qui se trouvait à flanc de colline du mont Ōeyama. Ils auraient gagné un temps fou. Perdre du temps, Kitashi détestait ça. Iwasaki avait pourtant insisté si vigoureusement pour se rendre à l'Université qu'il n'avait pas pu le lui refuser. Il avait visiblement une dent contre les adeptes du shintoïsme. Pourquoi, il ne le savait pas, et ce ça ne le regardait pas.

Plus il roulait, plus les bâtiments se tassaient sur eux-mêmes jusqu'à devenir à peine plus haut que les poteaux électriques qui bordaient les zones résidentielles. Les immeubles s'élevèrent à nouveau aux environs de la rivière Katsura. À partir du pont qui enjambait le bras d'eau, le paysage n'était plus que panorama des reliefs d'Ōeyama. Ses vallons, tantôt doux, tantôt ciselés, étaient recouverts d'un artifice de touche colorée là où le vert avait laissé place au rouge des feuilles d'érable et au jaune et orange des autres essences. La végétation qui recouvrait le paysage ondulait en harmonie avec le souffle du vent. La tempête semblait s'être calmée, bien que l'air qui s'infiltrait par la maigre ouverture de la fenêtre sifflait dans les oreilles de Kitashi. Sur l'autre rive, un autre torii, plus imposant que celui qui côtoyait l'Université, supportait sur ses deux linteaux horizontaux une plaque vernie noire aux inscriptions dorées. Juste avant de passer le territoire du sanctuaire, il leva deux doigts de la main qui tenaient le volant pour saluer les deux Omawarisan de la minuscule station de police à sa gauche. Ses collègues lui rendirent la politesse lorsqu'ils le reconnurent. C'était ici qu'il avait commencé sa carrière. Même s'il n'y était pas resté plus de quelques semaines et était très vite monté en grade, il avait une affection particulière pour l'endroit. Surtout lorsqu'il posait les yeux sur les vélos de ville et les scooters que les officiers utilisaient pour se déplacer, ou encore s'il apercevait la face sévère et ridée des anciens, ceux à qui le métier d'Omawarisan convenait très bien. Ils aimaient la régularité de leurs rondes et prenaient plaisir à faire la causette avec les passants. De vraies mascottes locales.

Le silence après l'orageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant