Air froid d'hiver étendu. Volets rongés par les vents et rafales. Noctuide arpentant le bas plafond de la chaumière. Noir et Rouge. Rouge et Noir. Il avait tué un homme.
Le garçon regarda ses mains baignées du liquide chaud et visqueux de l'Autre. Il en avait tué deux. Le premier était devant la petite maison, étalé dans la neige saillante. Le jeune homme se releva chevrotant et s'écarta du corps meurtri, essuyant une goutte de sang qui pendait à sa lèvre. Le cadavre était un homme mûr, d'une cinquantaine d'années. Il avait une barbe mal rasée poivrée-sel et quelques fils de cheveux sur un crâne aplati. Des oréoles jaunes tachaient un haut dégarni. Le garçon l'avait eu à la taille. D'une lame s'écoulait des petits ruisseaux bordeaux. Elles s'enfonçaient dans les plis et bourrelets de la chose inerte pour former des ronces terribles.
Il tira le mort jusque derrière la petite maison, creusa un trou et le jeta dedans. Il alla ensuite chercher le second Autre sur le seuil de la porte. Sa figure ivre révélait, en un sourire horrible, des dents dépeignées et la fatigue d'une lutte récente. Une flaque ambrée se répandait en sillons odorants autour de lui. L'homme avait eu si peur qu'il avait uriné avant de céder. Le garçon lui attrapa le col avec dégoût et l'emmena au trou, pour le laisser tomber sur le premier cadavre.
Il vomit près du trou.
Après avoir jeté quelques généreux seaux de terre sur les visages crispés des deux Autres, il retourna à la chaumière et prit un châle rouge, mangé par les mites. Le jeune homme l'enroula autour de ses maigres épaules avant de sortir, bien que ceci ne coupa en rien ses horribles frissons. Tuer quelqu'un vous laisse aussi vide que si vous aviez perdu un être cher. On sent une masse, un nœud de remords dans le fond du ventre mais on est souvent tellement sonné par le choc qu'on omet d'y prêter attention. Il ne savait que faire. Il se lança alors sur une piste empourprée de neige sale. Il allait en ville, apparemment. Il suivit le sentier et descendit ainsi au sein de la Vallée.
Bientôt, les cheminés surgirent des collines de glace et de petites bâtisses de bois se dressèrent de part et d'autre de la piste, devenue route de pavés noirs. On salua le jeune berger; une femme aux pommetes aussi roses qu'elle n'avait de ventre lui sourit en l'appelant "Adret", une autre, grande et maigre comme un bouleau, cria "Aurige". Aux deux commères, il répondit, quoique distrait. Elles vinrent alors lui donner une bourse remplie de pièces graisseuses. Il examina le contenu avec une satisfaction feinte. Le fromage était bon, lui dirent-elle, et la laine blanche et non jaune comme celle du Grand Berger. Il remercia les deux femmes en silence, puis reprit son errance vers les entrailles de la cité. Elles le regardaient, perplexes.
Le garçon pénétra plus loin dans une vieille auberge appelée La Charrette. En ouvrant la porte, une bouffée de chaleur emplit ses sens et vint brûler sa peau gelée. Un filet d'odeur de viande grillée, de pain chaud et d'hommes rassemblés enveloppa l'entrée. L'établissement était plein ce soir. On dansait en chantant autour d'une grosse cheminée, au-dessus de laquelle pendait une immense soupière. Une ménestrelle entamait un air connu au luth. Sa chevelure sauvage flottait autour de ses épaules et descendait en cascade de charbon jusque dans le bas de son dos. Le garçon s'éloigna un peu du brouhaha et s'assit à une table au fond de la pièce. Bientôt, le tavernier, un grand homme aux mains calleuses et à l'esprit commerçant, s'approcha de lui, déposant des choppes ça et là au passage. Il balaya de la main les quelques miettes restées sur la table avant de s'adresser au jeune homme.
- Eh bien, Adret! Voilà longtemps qu'on ne te voyait plus. Chaleur dit que tu aimes plus les brebis que les femmes. Trèfle pense que c'est les boucs que tu préfères. tonna l'homme, en s'asseyant lourdement sur la chaise en face.

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Le Fou Rouge
Fantasy[VERSION FRANCAISE][EN COURS] Sous la neige et entre les vents, le Loup tue des hommes. Audace, jeune berger des terres du Nord, s'aventurera sur la piste du grand prédateur. A ses cotés marcheront amants et amantes, amis et rivaux, famille et étra...