Rivière et messages

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Aujourd'hui, c'était la minute de silence pour ce professeur de lettre, qui a été assassiné vendredi. Une réunion était organisée le matin, avec les enseignants et la direction du lycée, pour réfléchir sur quoi dire, comment et que faire. Par conséquent, Elle commençait à 10h. Enfin, à 11h, puisque le lundi Elle a une heure de trou de 10 à 11.
À 11h, Elle avait espagnol. La prof, au début du cours leur à demandé s'ils avaient des questions, s'ils avaient besoin de parler. Personne ne savait quoi dire. Elle n'avait pas de question, mais Elle a bien vu que c'est surtout l'enseignante qui avait besoin de parler. Alors Elle s'est débrouillée pour que ça dure, la professeur leur a montré des images et des phrases, en espagnol bien sûr, sur la guerre, la paix et l'éducation. Notamment une, de Pythagore, qui disait à peu près "Éduquez les enfants et vous n'aurez pas besoin de sanctionner les adultes." Elle a plût à Elle, cette phrase. Elle voit ça un peu comme une rivière :
Imaginons qu'un fleuve passe dans une ville, sauf qu'il déborde trop souvent et abime les maisons sur la berge. Construire un barrage juste au dessus de la ville, c'est cher et ça demande beaucoup d'efforts. C'est dur.
Imaginons ensuite que quelqu'un ai un jour l'idée de remonter ce fleuve et d'arriver là où coule un mini court d'eau. Poussons plus loin la réflexion et ce quelqu'un detournerai un tout petit peu, de quelques centimètres, ce ruisseau. S'écoulant dans une autre direction, ce court d'eau devenant fleuve iriguera peut-être des champs, où pousseront des céréales.
L'éducation, c'est ce quelqu'un. C'est son rôle, son but de d'aider le ruisseau à aller dans la bonne direction. Le problème, c'est que l'éducation est utilisable dans les deux sens : elle peut aussi détourner un court d'eau des champs pour inonder la ville.

Bref, tout ça pour dire qu'une phrase a marquée Elle. Finalement, ils ont passé tout le cours d'espagnol à parler de ça. À la fin, Elle s'est dirigé vers la professeur et lui a dit un truc de ce genre :
"Vous nous avez demandés si l'on voulait en parler, si on le vivait bien. Mais vous, ça va ? Parce que ça vous touche plus vous que nous"
L'enseignante lui a répondu un merci, ça va pour moi. C'est un peu dur mais ça va.

Le soir, Elle en discute avec son frère et celui ci lui dit que la prof d'espagnol qu'Elle avait l'année dernière, celle qui lui avait prêté son portable pour appeler ces parents à la boom, avait pleuré aujourd'hui.
En fin d'année dernière, suite à quelques aventures, Elle avait obtenu le numéro de cette prof. Alors ce soir, Elle lui a envoyé un message. Il était autant destiné à l'enseignante qu'à l'ensemble des professeurs de France. Elle aimerait le partager à tous ceux qui pourraient la lire. Il dit ça :

J'ai pas les mots pour vous exprimer combien ça me démuni, que certaines personnes tue, ma phrase pourrait s'arrêter là, des professeurs qui sont des gens qui ne sont pas sensé faire un métier dangereux. Combien il m'est impossible de comprendre cette non reconnaissance envers ces êtres humains qui essayent d'instruire des élèves.
Les seuls mots que j'ai, que je trouve parfait, c'est pardon et surtout, merci.
Pardon pour cette peur dans laquelle peuvent vous plonger certains actes à votre encontre. Merci pour votre engagement qui, je le sais, n'est pas facile au quotidien.
Deux mots, ce n'est pas grand chose, je le conçois, mais c'est ce que moi, élève de 15ans, ai à vous offrir.

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