01 - Le regard vide

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L'obscurité s'abattait sur la pièce comme un linceul, palpable, presque suffocante. La lueur vacillante d'une petite lampe posée sur une table en bois vermoulu était la seule source de lumière, fragile, perdue dans l'immensité obscure de la Maison des Poupées Maléfiques. Ce lieu avait une réputation sinistre. Ceux qui s'y aventuraient parlaient à voix basse de murmures étouffés et de regards perçants. Certains prétendaient même que les poupées, avec leurs yeux vides et brillants, attendaient dans le silence, prêtes à happer quiconque osait franchir la porte.

Ce soir-là, Julie et Antoine avaient décidé d'affronter les ténèbres de cette demeure, inconscients du mal qu'ils allaient réveiller.

Leurs pas résonnaient lourdement dans le couloir. Chaque craquement du parquet semblait briser le silence oppressant qui pesait sur la maison, comme si leurs mouvements étaient épiés, chaque son amplifié par une force invisible, tapie dans les recoins sombres. Julie avançait à reculons, le cœur battant à tout rompre, une sueur froide ruisselant le long de son dos. Elle se tourna vers Antoine, les yeux écarquillés, et chuchota, la gorge nouée.

« Antoine, je n'ai pas un bon pressentiment. Cet endroit... »

Elle se tut, incapable de mettre des mots sur ce malaise grandissant. Ses yeux scrutaient les murs craquelés, là où des ombres dansaient, déformées et insaisissables, comme si elles étaient animées par une vie propre. L'air était lourd, saturé d'une tension presque palpable. Julie sentit son souffle se couper.

« Regarde ces poupées... »

Sa voix n'était qu'un souffle.

« Elles ont toutes un regard vide... sinistre... »

Antoine tenta un sourire, mais sa façade de calme se fissurait. Ses yeux, autrefois pleins de défi, trahissaient une peur croissante. Il s'avança vers une grande vitrine poussiéreuse, où des dizaines de poupées étaient alignées. Leurs visages, d'une innocence apparente, dégageaient quelque chose de profondément perturbant. Une tension quasi tangible émanait d'elles, comme si elles attendaient que quelque chose ou quelqu'un active leur sinistre dessein.

Soudain, une voix douce, presque chantante, résonna dans la pièce, glaciale et implacable.

« Bienvenue à la Maison des Poupées Maléfiques... Vous ne devriez pas être ici. »

Julie sursauta, le cœur battant si fort qu'elle crut que sa poitrine allait exploser. Antoine, paralysé, se tourna brusquement. Ses mains tremblaient, son sourire s'effaçant lentement. Mais la pièce restait vide. Aucun signe de vie, aucun mouvement... si ce n'était les ombres étirées des poupées, dont les contours semblaient se mouvoir imperceptiblement.

« Qui a parlé ? » souffla Antoine, cherchant en vain la source du son.

Les murs semblaient respirer, se rapprocher d'eux, comme une bête affamée. Julie recula d'un pas, ses jambes flageolant sous l'effet d'un froid soudain et intense. Son souffle devint erratique, chaque inspiration étant une lutte pour maintenir son calme.

« Qu'est-ce que c'était ? » balbutia-t-elle, ses mains tremblantes comme des feuilles dans le vent.

L'air devenait de plus en plus oppressant, comme si les murs eux-mêmes cherchaient à l'étouffer. Antoine, crispé, fixait la poupée au centre de la pièce, assise sur une petite chaise. Son regard vide et mort semblait les suivre, et une aura malsaine émanait d'elle, comme si elle attendait patiemment... une proie.

La poupée éclata soudain d'un rire mécanique, grinçant, un son déformé qui semblait vibrer dans chaque fibre de la maison.

« Vous ne devriez pas être là... Vous ne devriez pas être là... » chantonnait-elle d'une voix saccadée, répétant inlassablement ces mots comme une mélodie macabre qui se répercutait dans leurs esprits.

Les yeux des autres poupées, jusque-là éteints, s'illuminèrent doucement, une lueur morbide scintillant dans leurs prunelles de verre. Une étincelle de vie malfaisante semblait les animer. Julie sentit son estomac se nouer. Elle se rapprocha instinctivement d'Antoine, cherchant un réconfort impossible.

« Antoine... on doit partir d'ici. Imm... Immédiatement. »

Sa voix tremblait, mais avant qu'ils ne puissent faire un seul mouvement vers la sortie, les portes se refermèrent violemment derrière eux, dans un fracas assourdissant. Les murs de la maison tremblèrent sous l'impact, comme si une entité gigantesque venait de refermer ses griffes sur eux.

Leurs cœurs tambourinaient, le bruit résonnant dans leurs oreilles comme une alarme. Les poupées se redressèrent, un mouvement saccadé, presque insectoïde. Leurs visages autrefois figés prenaient des expressions de pure malice. Leurs rires métalliques résonnaient dans l'air, se mêlant au silence de la maison, créant une symphonie macabre.

« Julie, vite, il faut trouver un moyen de sortir d'ici ! » s'écria Antoine, sa voix brisée par la peur.

Ils se ruèrent vers une autre porte, mais chaque pas qu'ils faisaient semblait alourdir l'atmosphère. Ils étaient pris dans une toile invisible, où chaque mouvement les rapprochait un peu plus de leur perte. Les rires des poupées, de plus en plus sourds et monstrueux, se faisaient entendre derrière eux, accompagnés de bruits mécaniques, comme si quelque chose les poursuivait.

Julie tituba, les jambes flageolantes, cherchant un répit dans ce cauchemar éveillé. Ils s'enfermèrent dans une chambre, leurs corps plaqués contre la porte. Antoine barricada l'entrée avec une vieille armoire branlante, ses mains tremblant sous l'effort. Mais les bruits de pas, ces grincements métalliques et infernaux, s'approchaient inexorablement.

« On est piégés... murmura Julie, sa voix à peine audible sous le poids de la terreur. On ne quittera jamais cet endroit. »

Des murmures s'élevaient de toutes parts, venant des murs, du sol, du plafond. Des voix multiples, étouffées, comme si elles se superposaient dans un chœur funèbre. Julie sentit son esprit vaciller sous le poids de cette présence malfaisante qui se resserrait autour d'eux. Elle se tourna vers Antoine, les yeux emplis de larmes de terreur.

« Qu'est-ce qu'on fait, Antoine ? On ne peut pas rester ici. »

Antoine, le regard vide, prenait difficilement une inspiration dans cet air lourd et irrespirable. Il ne voulait pas céder à la panique, mais chaque souffle devenait un combat.

« Il doit y avoir un moyen de briser cette malédiction... Ces poupées... elles sont contrôlées par quelque chose. On doit trouver ce que c'est et le détruire. »

Ils se précipitèrent hors de la chambre et pénétrèrent dans une salle de collection. Des étagères recouvertes de poupées les encerclaient. Mais ces poupées-là étaient différentes. Leurs visages, déformés par la malice, changeaient à chaque regard. Leurs yeux vides semblaient des abysses dans lesquels Julie se perdait.

Une poupée, plus grande, se détacha du groupe. Ses membres se tordirent dans des angles improbables et ses yeux de verre brillèrent d'une lueur rougeâtre, maléfique.

« Vous êtes ici pour mourir, mortels. Cette maison appartient aux âmes perdues... et vous en ferez bientôt partie. »

Antoine et Julie échangèrent un regard. Il n'y avait plus de retour en arrière. Leurs cœurs s'emplirent d'une terreur abyssale alors qu'ils acceptaient leur destin : ils devaient affronter la maison, ses poupées, et l'horreur qui en émanait.

Et ils savaient que la maison ne leur laisserait aucune échappatoire.

La maison des poupées [recueil de nouvelles]  {auto-édition}Where stories live. Discover now