I.

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vendredi 27 octobre


Face à moi, le vieux chêne semble sourire malicieusement. Ses branches se balancent au gré du vent, rappelant à moi l'image trouble d'un souvenir effacé. Quelle qu'ait été son origine, elle est aujourd'hui bien trop lointaine, étrangère. Ces bribes de souvenirs ont sûrement disparu. Je ne m'y serais pas accrochée inutilement.

Laissons de côté ces sentiments confus, et revenons-en à cet arbre probablement centenaire. À mes yeux, il est le premier aperçu de ma nouvelle vie. Ou au moins, de mon nouveau chez moi. Plantée devant, au beau milieu de l'allée, je ne peux m'empêcher d'admirer sa grandeur. Quelque chose d'inconnu semble m'attirer à lui, un sentiment plus étrange que désagréable. Ses feuilles colorées emprisonnent mon regard. Son tronc rugueux appelle le bout de mes doigts. Je veux le caresser, l'explorer jusqu'à en connaître les moindres recoins.

J'aurais aimé pouvoir arrêter le temps. Les couleurs d'automne et le doux murmure du vent sont gâchés par les allées et venues incessantes des déménageurs dans ce qui sera bientôt ma demeure. Je voudrais les faire disparaître, les renvoyer d'où ils viennent. Ces intrusions me fâchent comme j'imagine que ce serait le cas à la place de ce chêne, si après plusieurs centaines d'années de petites bestioles s'appropriaient de nouveau mon territoire. Je ressens presque de l'empathie pour ce tronc dénué d'humanité.

— Eden !

Quelqu'un appelle mon nom. Mes clavicules deviennent douloureuses, je baisse légèrement la tête.

— Eden, sois gentille, décale-toi.

— Excusez-moi, mère, réponds-je alors. Décidément, je m'entête et traîne de nouveau dans vos pattes.

Maman sourit, attendrie. J'aime reprendre de vieilles répliques de film lorsque la situation me le permet, apparemment cette lubie plaît à d'autres également.

De nouveau attentive à ce qui m'entoure, je force mon regard à se détacher du vieil arbre. À peine ai-je baissé la tête qu'une autre, inconnue, apparaît face à moi. Une voisine, semble-t-il, trop curieuse pour rester chez elle sans se coller à la vitre. Le fait que j'ai démasqué son inspection ne semble pas la déranger, la vieille dame ne cesse de nous fixer, les uns après les autres. Son regard a quelque chose d'étrange. Elle semble fascinée.

— Eden, me reproche maman, arrête de rêvasser !

La vieille dame l'a entendue. Comme alertée, elle se tourne dans ma direction. Ses yeux s'écarquillent quand elle comprend que je l'observe en retour. Je ne saurais remettre un nom sur ces prunelles grisées par le temps, pourtant je suis sûre d'en avoir déjà rencontré de semblables.

Son sourire troué de dents manquantes ne me rassure pas vraiment.

Un souffle de vent vient ébouriffer mes cheveux longs, je finis par changer de position. Près de l'arbre, cachée de la voisine, je ne dérange personne.

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