Prologue

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Quatre ans plus tôt

James éteint le plafonnier avant de me rejoindre sous la couette. Il est plus de vingt-deux heures et il rentre à peine de son bureau. Il a raté le dîner. Encore. C'est la même rengaine depuis plus de deux ans, l'âge de Lenny.

Lenny ? C'est l'amour de notre vie. En tout cas, de la mienne. Un petit blondinet aux yeux bleu océan dont les joues se creusent d'adorables fossettes lorsqu'il sourit, comme les miennes. Avec son teint de porcelaine et ses traits fins, certains vous diront qu'il me ressemble comme deux gouttes d'eau mais pour ma part, quand je le regarde, c'est son père que je vois. Les mêmes mimiques, le même sourire aux dents du bonheur. Ce sourire qui m'a tant fait chavirer lorsque nous nous sommes rencontrés, James et moi.

Il était encore étudiant, sur le point de valider sa dernière année en kinésithérapie. Le diplôme en poche, il a d'abord intégré un centre de rééducation en tant que salarié, mais avide d'indépendance, il a fini par ouvrir son propre cabinet. C'est à peu près à cette époque que je suis tombée enceinte de Lenny, pour notre plus grand bonheur. James rencontrait déjà un franc succès et se constituait petit à petit une patientèle toujours plus fidèle. Le carnet de rendez-vous ne désemplissait plus et mon conjoint passait de moins en moins de temps à la maison, près de moi, enceinte jusqu'au cou. Encore un peu et il ratait même la naissance de son propre fils.

Lorsque Lenny est venu au monde, j'ai bien cru que James lèverait le pied pour profiter de sa nouvelle famille. Je me suis trompée. Ses journées étaient toujours aussi remplies, à peine voyait-il notre fils grandir. À peine avait-il le temps de nous aimer, Lenny et moi.

- Quel plaisir de retrouver son lit après une journée pareille, soupire mon conjoint en remontant la couette jusque sous son menton.

Le nez plongé dans mon bouquin dont la même ligne défile sous mes yeux depuis que je suis couchée, je ne réponds rien. Je suis lasse. Lasse de passer mes soirées seules. Lasse de gérer la maison et notre petit garçon. Lasse de le regarder s'endormir en me demandant si papa viendra lui faire un bisou quand il rentrera.

Je suis fatiguée de cette relation qui n'en est plus vraiment une. Cette situation dure depuis trop longtemps.

J'entends James tourner la tête dans ma direction, attendant sans doute une réaction de ma part. Il finit d'ailleurs par se pencher vers moi pour lire par dessus mon épaule :

- Encore un navet à l'eau de rose, j'imagine. Est-ce que je peux prétendre avoir un baiser de mon amoureuse, au moins ? Ou je vais encore me faire voler la vedette par un mec bodybuildé, plein aux as et qui adore mettre des fessées ?

Je place mon marque-page dans le creux de mon livre et le referme sèchement, tandis que James s'enfonce à nouveau dans ses oreillers.

Mûrissant mes propos, décidée à garder mon sang-froid, je tourne enfin mon regard vers lui. Les yeux mi-clos, James ne me prête finalement plus vraiment attention, visiblement sur le point de s'endormir.

- Je suis malheureuse, James, je lance enfin.

- Hmmm... Tu n'as qu'à changer de livre et en choisir un autre, me chuchote-t-il , complètement à côté de la plaque.

Mon regard se porte vers la porte. Jusqu'à ce soir, je n'avais pas vraiment réfléchi à la manière dont les choses allaient se passer. Je suis cependant sûre d'une chose : je ne peux plus continuer ainsi.

- Je crois que je ne t'aime plus.

La bombe est lâchée. James se redresse sur un coude et coule un regard vers moi, perplexe.

- Qu'est-ce que tu as dit ? demande-t-il, la voix tout à coup moins sûre mais plus audible.

- Je crois que je ne t'aime plus.

Je répète les mêmes mots, froids et durs. Je ne suis même pas sûre de les penser réellement mais je ne sais comment dire les choses autrement. Peut-être ai-je aussi envie de voir une réaction dans le regard de mon partenaire. Mais James, les yeux à présent grands ouverts, semble figé par le choc de mes propos.

- T'es sérieuse ? dit-il enfin. Lucy ? C'est encore une de tes blagues pas drôle, c'est ça ?

Je soupire, consciente que ma vie est sur le point de changer ce soir

- Non, James, ce n'est pas une blague. Je suis tout ce qu'il y a de plus sérieux. On devrait se séparer.

- Attends, attends ! C'est le genre de décision qui se prend à deux, et t'as pensé à Lenny, bordel ? Tu décides, du jour au lendemain, de me larguer sans raison et...

- Mais j'en ai des tas de raisons justement ! je m'emporte en lui coupant la parole.

Je baisse le ton, ne souhaitant pas réveiller notre fils.

- Je ne fais que penser à Lenny. Et on ne peut pas en dire autant de toi.

James bondit hors du lit et fait les cent pas dans la chambre.

- Je te trouve gonflée de parler pour moi. Je pense à lui chaque jour, chaque matin quand je me lève aux aurores pour commencer mes tournées à domicile, c'est pour lui que je le fais. Pour toi, pour nous ! Pour payer cette putain de maison dont tu rêvais. Je me saigne au boulot pour nous offrir une belle vie confortable, dit-il en se passant une main dans les cheveux.

Je le regarde déambuler de long en large dans son pyjashort. Il fut un temps où James ne supportait pas de dormir habillé. C'est toujours nu comme un ver qu'il me rejoignait dans les draps. Un temps révolu où mon homme daignait encore me regarder et me toucher. Il lui arrivait si souvent de s'endormir, une main en coupe autour de mon sein et j'adorais ça.

- Je suis d'accord pour le confort. Mais de quelle belle vie tu parles James ? Tu n'es jamais là, un vrai fantôme. Il n'y a que ton boulot qui t'intéresse. Et l'argent, toujours l'argent.

James balbutie quelques mots mais je n'écoute plus. J'ai perdu l'habitude de dialoguer avec lui.

- Lucy, tu n'es pas sérieuse quand même ? Je travaille beaucoup mais je suis là pour vous et tu le sais. J'aime Lenny de tout mon cœur. Toi aussi je t'aime et tout ne peut pas s'arrêter comme ça, ajoute-t-il en s'agenouillant au pied du lit.

- Si tu es là pour nous, alors tu dois connaître la comptine préférée de Lenny pour s'endormir le soir. Tu sais certainement aussi qu'il arrive à compter jusqu'à quinze maintenant et qu'il réclame de plus en plus le pot. Hier, il a passé la journée sans couche et il n'a pas eu un seul accident.

James me regarde dans le fond des yeux, indécis. Bien sûr qu'il ne sait rien des progrès de notre fils. Ils se connaissent à peine.

Les larmes affluent sous mes paupières tandis que je prononce à nouveau les paroles les plus dures que j'ai eu à dire jusqu'à aujourd'hui. James saisit mes mains et les caresse doucement, les yeux plein d'espoir.

- Je suis désolée. Je veux qu'on se sépare. Demain, je partirai chez mes parents. Avec Lenny.

Ce Noël où je me suis retrouvée enfermée avec mon exOù les histoires vivent. Découvrez maintenant