Chapitre 1

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Victoria

— Je n’ai aucune envie de rester plus longtemps avec toi ! Ta présence m’étouffe et je ne supporte plus tes coups et tes maladresses. J’en ai marre que tu t’excuses après m’avoir tabassée, et que je revienne bêtement à toi simplement parce que je suis amoureuse. Je ne peux plus continuer comme ça ! m’écrié-je.

Alex me regarde attentivement et s’approche de moi, le visage fermé.

— Quoi  ? Tu vas me frapper encore  ? Le défié-je.

Il vient replacer l’une de mes mèches derrière mon oreille, un sourire espiègle sur les lèvres, avant de lever la main sur moi et de me gifler. Ma tête valse sur le côté et je tiens ma joue, les larmes aux yeux.

— Ne t’avise plus jamais de me parler ainsi, tu risquerais de ne pas pouvoir t’en relever, crache-t-il.

Je baisse le regard et attends le signal.

— COUPEZ ! annonce le réalisateur.

Alex m’aide à me redresser dans la seconde et scrute ma joue rouge.

— Tu y es allé plus fort qu’en répétition… affirmé-je.
— Je suis désolée, j’étais trop dans l’action, je ne me suis pas assez contrôlé. Tu veux que je t’apporte de la glace ou autre chose ? me demande-t-il, inquiet.
— Non, ça va. Tant qu’on ne doit pas la refaire, c’est bon ; la journée a été assez longue…

Nous attendons que le réalisateur visionne la scène pour savoir si nous allons devoir la recommencer ou non et lorsqu’il lève un pouce en l’air, la tension dans mes muscles se dissipe. La sonnerie du studio retentit, ce qui veut dire que c’est un clap de fin pour ce jour. Alex m’offre une accolade et nous nous souhaitons une bonne soirée. Demain, nous tournons encore ensemble et des scènes qui vont nous demander plus de concentration sont prévues. J’ai plutôt intérêt à ne pas me coucher tard.
Je rejoins Erwan qui doit m’attendre depuis un petit moment maintenant sur le parking. Adossé au capot de sa voiture, les mains dans les poches, il m’observe le rejoindre.

— Cette journée ? me questionne-t-il.
— Épuisante.
— Je promets d’être bref ce soir et de ne pas te fatiguer plus que tu ne l’es déjà, tente-t-il de me rassurer.
— C’est possible ça, que mon agent ne m’accable pas de travail ?

Il hausse les épaules et, d’un coup de tête, m’invite à entrer dans la voiture. Je préfèrerais me retrouver dans mon lit sous mon énorme couette plutôt que d’aller manger avec Erwan pour qu’il me parle de boulot ; seulement, ce n’est pas comme si j’avais le choix. Trois ans que nous bossons ensemble et que ma carrière a décollé. Depuis, il ne me lâche plus, et je n’accepte jamais un nouveau contrat sans lui. Je joue les mannequins et les comédiennes, mais ne me demandez pas de décortiquer un arrangement, parce que je n’y comprends rien. Je me laisse porter par les décisions de mon agent qui fait en sorte que mes exigences soient respectées à la lettre. Par exemple, pour le long métrage que nous sommes en train de réaliser, j’ai demandé qu’une voiture vienne me chercher chez moi le matin pour m’emmener sur le lieu de tournage, dans le cœur de Londres. Habitant la ville, je n’avais pas besoin que la production me trouve un logement. Avoir un chauffeur me permet de me sentir moins stressée et de me rendre au travail plus tranquillement. Également, je ne débute pas ma journée sans un café latte sirop noisette de Starbucks ; j’ai réclamé à en avoir un chaque matin en arrivant au studio. Mais je ne compte pas ça comme un caprice, c’est juste de la logique et du bon sens.

Erwan se gare devant l’un des grands restaurants que j’aime tant, dans un des quartiers de Marylebone. Je sors du véhicule et entre dans le bâtiment sans attendre, en sachant que des indicateurs pourraient me repérer et avertir les paparazzis. Depuis quelque temps, ils sont incontrôlables et j’ai parfois l’impression de me faire suivre constamment. Mon agent informe la dame à l’accueil de notre réservation et nous la suivons jusqu’à notre table. Je me jette directement sur le menu ; mon ventre crie famine.

— J’ai tellement envie d’une bonne pizza, mais je ne sais pas à quoi !

Erwan relève la tête vers moi, l’expression figée.

— Quoi, tu n’aimes pas les pizzas ? m’indigné-je.
— Si, j’adore ça et je sais que toi aussi, mais…
— Mais quoi ? continué-je. 
— Tu défiles pour Dior dans deux semaines, je croyais que tu avais repris le régime que je t’avais recommandé.

C’est clairement un reproche qu’il me fait et je ne relève pas, ayant — je dois l’avouer — oublier de suivre cette diète à deux reprises lorsque j’étais sur le tournage. On a peu de temps pour manger avec les répétitions et les réglages de lumières, les maquillages et les costumes, alors je ne fais pas ma difficile.

— Victoria, je n’ai pas envie d’aller jusqu’à surveiller tout ce que tu avales par jour pour m’assurer que tu suives les règles.
— Je n’en ai pas envie non plus, j’ai simplement eu quelques moments de faiblesse, ce n’est rien, je vais me reprendre en main.

Il soupire.

— Tu as plutôt intérêt, parce que Dior est l’un de tes plus gros contrats et ils aiment bosser avec toi. Si on les perd, on va avoir du mal à remonter la pente.

Je me contente de placer le menu devant ma tête afin de cacher mon air blasé, juste au moment où le serveur arrive.

— Vous avez choisi ? s’enquiert-il.
— Je vais prendre une assiette de pâtes carbonara maison et, pour Madame, ça sera votre salade grecque, annonce Erwan sans me consulter.

Je serre les dents, contrariée qu’il ait choisi à ma place.

— Pour accompagner cela ? reprend le serveur.
— Un pichet d’eau et un verre de rouge pour moi.

Le garçon repart aussitôt et je me retiens de dire à mon agent ce que je pense de sa façon de choisir à ma place. Il a peut-être fait ça pour mon bien, mais la prochaine fois, si ça se réitère, il va m’entendre. Il commence à m’expliquer le planning chargé que je vais avoir les prochaines semaines entre les défilés, le tournage et les interviews de promotion. Mon temps est organisé à la seconde près et, en comptabilisant les jours de repos que je vais avoir, je suis décontenancée. Il y en a très peu, voire pas du tout.

— C’est un gros mois qui nous attend, mais après ça, ça va se calmer, ajoute-t-il en remarquant certainement l’expression qu’affiche mon visage.

Il dit ça à chaque fois, c’est toujours pareil. Il continue de parler ; seulement, je ne l’écoute plus, étant déjà mentalement dans mon lit. Je pense à mon oreiller et à ma petite série qui va m’accompagner pour m’endormir. Ce sont mes vraies préoccupations du soir ; le reste passe à la trappe pour le moment.

Une fois le dîner terminé, à savoir une salade à moitié entamée, nous sortons du restaurant. Erwan propose de m’appeler un taxi pour que je puisse rentrer chez moi ; je décline et lui souhaite une bonne nuit avant de partir à pied. Ça fera ma petite marche du jour et mon occasion de prendre l’air.
Les rues sont pour la plupart encore bien animées. Je remonte le col de mon impair pour passer inaperçue et sors mon portable, ce qui me permet de baisser la tête naturellement. Je suis à mi-chemin de chez moi lorsqu’un scooter ralentit à ma hauteur. Le conducteur sort un appareil photo du sac posé sur ses genoux et m’éblouit avec le flash de son appareil à plusieurs reprises. Une voiture s’arrête dangereusement sur le trottoir et une personne en sort, caméra à la main. Ensuite, c’est une autre bécane qui me barre le chemin et dont le pilote prend de nombreux clichés. Le souffle coupé, je sens la panique monter ; il faut que je trouve un endroit pour me réfugier. Je commence à courir, le bruit de mes talons dans la ruelle retentissant autour de moi. Les paparazzis remontent sur leurs engins et continuent de me suivre à la trace. N’ont-ils pas eu assez de photos comme ça ?
À cette heure-ci, la plupart des magasins sont fermés. Je n’ai donc pas beaucoup de solutions : c’est ou je tape un sprint jusqu’à chez moi, ou je trouve un lieu où me cacher. Et c’est à ce moment que, du coin de l’œil, dans une petite impasse, j’aperçois une boutique encore ouverte qui éclaire devant son palier. Je m’immisce dans cette avenue, ce qui embête les photographes, et j’accours le plus rapidement possible jusqu’à ce magasin qui se trouve être une vieille librairie. Je pousse la porte vitrée et pars me cacher derrière une étagère, essoufflée par mon sprint.

Je sens alors une présence dans les parages et observe une ombre s’avancer vers moi. Je m’attends à découvrir un vieil homme, mais je me retrouve devant un garçon brun, des fines lunettes dorées sur le nez et un livre entre les mains. Il penche la tête en me regardant, les sourcils froncés. Je souffle, persuadée qu’il m’a reconnue.

— Écoutez, je tentais simplement de fuir les paparazzis, alors on peut prendre une photo ensemble et je vous emprunterai un bouquin en échange de votre silence.

Il ferme son roman et vient gratter l’arrière de son crâne.

— Pourquoi je voudrais une photo avec vous ? m’interroge-t-il avec un accent qui sonne plus anglais que le mien.

Mon expression se fige. À quoi joue-t-il ?

— J’ai l’habitude, vous savez. N’ayez pas honte de vouloir un selfie. Je vous demande juste d’attendre que je parte pour la poster sur les réseaux.

Le libraire m’observe un long moment sans rien dire, pose son ouvrage sur une petite table et part en chercher un autre dans ses étagères.

— Pas de photo ? insisté-je, fatiguée.

Il hausse les épaules.

— Je ne pose pas avec une personne que je ne connais pas juste pour lui faire plaisir.
— Pour me faire plaisir ?!

Je rêve ! En plus de me faire croire qu’il ne sait pas qui je suis, il me fait passer pour une groupie.

— Vous comptez vraiment prendre un livre ou pas ? souffle-t-il.

Je vois qu’il ne perd pas le nord. Je lève les yeux au ciel en soupirant.

— Que me conseillez-vous ?
— Vous n’avez pas l’air d’une personne qui lit beaucoup, constate-t-il.
— Les bouquins ont tendance à m’ennuyer, répliqué-je sèchement en m’abstenant d’ajouter qu’il m’ennuie lui aussi.
— Alors, il vous faut quelque chose qui vous tienne en haleine.

Le jeune homme disparaît derrière une énorme bibliothèque et revient avec un vieux roman broché qu’il me tend afin que je le feuillette.

— Murder on the Orient Express ? lis-je à voix haute en découvrant le titre.
— Rien de mieux qu’Agatha Christie pour faire tenir le mystère jusqu’au bout, commente-t-il.
— Je ne vois pas comment on peut ne pas deviner le meurtrier avant qu’il ne soit révélé…

Sur son visage apparaît un sourire moqueur.

— Eh bien, vous m’en direz des nouvelles après votre lecture.
Lui tenant tête, je m’approche de son bureau qui fait office de caisse et sors de mon portefeuille un billet de 50 livres sterling.

— Gardez la monnaie, lancé-je en le posant sur la table, ça compensera votre frustration de ne pas avoir pris de photo avec moi.
Je quitte la boutique mon roman à la main et le col relevé après avoir bien vérifié que les paparazzis ont perdu ma trace. Je ne sais pas si c’était un fan insatisfait ou l’un de mes haters ; dans tous les cas, ce libraire n’était vraiment pas agréable.

J’atteins Primrose Hill en quelques minutes et rentre chez moi rapidement. Une fois la porte fermée à double tour, je m’engouffre sous la douche, dont l’eau me brûle presque la peau. Une fois mes muscles détendus, c’est avec une serviette nouée autour de mon corps que je m’observe longuement dans le miroir. Erwan a raison : il faut que je me reprenne en main pour les défilés, sinon les couturières vont devoir me remesurer et elles détestent ça. Je ne peux pas me permettre de m’épaissir.

J’enfile mon pyjama et pars me réfugier sous ma couette. Une fois les yeux fermés, je ne peux m’empêcher de penser à ce commerçant de livres. Pour une personne qui reste enfermée et entourée de bouquins, il me paraissait bien musclé sous sa chemise blanche. Peut-être fait-il des développés-couchés avec ses romans ? Cette image me fait particulièrement rire. Je rouvre les yeux ; impossible de dormir. À quelques mètres de moi, c’est le broché que je viens d’acquérir qui me fait de l’œil.
Je maintiens que peu importe qui est cette Agatha Christie, il y a bien un moment dans ses romans où on devine qui est le véritable coupable. Il faudrait vraiment être aveugle et bête pour ne pas le découvrir. Résignée, je pars chercher le bouquin. Lire quelques pages ne me fera pas de mal.
C’est vrai qu’il était mignon ce libraire, si je louche.

FLASH (publié en auto-édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant