Elle tira une chaise plus grande qu'elle jusqu'aux étagères. Les pieds raclaient sur le sol, laissant de fines rayures sur le parquet déjà marqué par les années. Du haut de ses cinq ans et son petit mètre, c'était devenu une habitude pour elle de traîner cette chaise jusqu'à la bibliothèque. A croire que leur mère la laissait-là, exprès.
Dans cet orphelinat, aussi vieux que l'était la Gérante, elle était l'une des seuls à s'intéresser aux quelques livres présents. Pourtant, au vu de leurs moyens, en posséder était un luxe. Pour cet enfant, c'était tout un trésor. Les couvertures l'attiraient : les couleurs, leur forme, la texture – souvent si doux sous ses doigts – le relief parfois des lettres. A son jeune âge, les images étaient ce qui la fascinait le plus. Elle commençait, tout doucement, à déchiffrer certains mots. Elle avait hâte de tout comprendre, de tout déchiffrer et de tout lire.
Parmi les quelques ouvrages présents, il y en avait un qu'elle affectionnait tout particulièrement. Un livre pas bien épais, aux pages jaunies par le temps et qui avait déjà vu passer bien trop d'enfants. Les couleurs étaient devenues fades, certains mots commençaient même à s'effacer et pourtant, c'était on préféré. Il ne se passait pas une semaine sans qu'elle ne l'ouvre au moins une fois. Elle s'arrêtait sur chaque image, passait souvent son doigt sur le titre, elle connaissait même le texte par cœur, sans l'avoir jamais réellement lu. Au début, la Gérante le lui lisait, souvent pour s'endormir. A présent, elle le feuilletait seule.
Grimpant sur sa chaise mise en place, s'agrandissant en se mettant sur la pointe des pieds, elle venait chercher ce livre en question. Il n'avait pas quitté son étagère depuis trois jours. Une durée bien trop longue pour l'enfant.
Son trésor en main, elle se mit à courir dans les couloirs de l'orphelinat. Plus que de le feuilleter seule, ce qu'elle aimait, c'était le partager avec les autres. La grande Danis avait passé l'âge de lire ce genre de livre et préférait rester dehors, souvent avec Félicie d'ailleurs. Ces deux-là ne lisaient jamais avec elle. C'était la même chose pour Hector. Lui, même tout jeune, ne s'était jamais intéressé aux livres. Elle ne se décourageait pas, elle savait que quelqu'un partagerait sa lecture.
- Les garçons !
Sa petite voix, encore bien aiguë, brisa le silence reposant de l'orphelinat.
- On lit le livre ?
Elle n'eut, pour seule et unique réponse, qu'un petit « chut », très discret. Aucun des deux enfants qu'elle venait de rejoindre ne s'était tourné vers elle. Tous deux fixaient un meuble, ou, plus précisément, le dessous d'un meuble. Une commode qui laissait assez d'espace entre le sol et elle, pour y passer une main.
- Qu'est-ce que vous faites ? Questionna la petite fille, sans lâcher son livre des mains.
- On a vu une souris passer. Elle s'est cachée sous le meuble. Ramsès veut l'attraper !
L'un d'eux s'était enfin retourné pour lui répondre. Un petit garçon d'une maigreur à faire peur et aux cheveux châtains lui retombant sur les yeux. Ils poussaient à une vitesse folle et la Gérante n'avait jamais le temps de les couper.
- Pas très intéressant. On lit plutôt notre livre ?
- Pas maintenant Vik ! Marmonna le Ramsès en question.
Toujours fixé sur son meuble, il essayait de se faire plus petit qu'il ne l'était pour passer sous le meuble. Acte de prime abord impossible, mais en insistant un peu, sa tête brune et bouclée parviendrait peut-être à passer.
- Quel livre ? S'intéressa l'autre enfant.
La jeune fille, Viktoire, laissa s'échapper ce petit sourire victorieux. Elle s'avait, à cette question, qu'elle avait réussie son coup. Lorsqu'elle voulait lire avec quelqu'un, il n'y avait aucun autre enfant pour répondre présent. Personne à part le petit Lumen. Rêveur et curieux, quoi qu'il fasse, sa réponse était toujours oui. Et une fois que Lumen s'intéressait à n'importe quel ouvrage, Ramsès finissait par décrocher de ses activités – aussi étranges qu'elles pouvaient être dangereuses – pour regarder le livre aussi. Cela fonctionnait toujours ainsi. Cela sonnait presque comme un rituel entre eux.
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Kolonie
FantasyKolonie : un mythe, une légende, une histoire qu'on raconte aux enfants pour les endormir. Un lieu où seuls les enfants peuvent aller. Un endroit, quelque part, à la fois tout proche et très loin... Pour les adultes, ce monde n'existe pas. Pour to...