Atelier d'écriture du 18/11/2023 "Biographème"

Rosa Smith

Une douce journée de Mai 1977, dans une modeste maisonnée de la commune de la Foye-Monjault, au détour d'une escapade dans la chambre parentale, la petite Rosa Smith tomba sur un objet à l'apparence incongrue, brillant comme un sou neuf. Curieuse, elle alla voir ses parents pour savoir quel était ce grand truc tout doré. C'était un instrument de musique, un saxophone exactement, qui appartenait à sa mère et dont elle n'avait pas joué depuis des années. Elle l'amena et lui en joua quelques notes. Et ce fut la révélation, l'illumination !

Elle aussi voulait jouer du saxophone, elle aussi voulait faire de la musique.

C'est ainsi que Rosa débuta son parcours musical, sa mère fière de voir sa fille s'intéresser à cet instrument qui l'avait passionné plusieurs années auparavant avant de finalement devenir fleuriste comme ses parents. Le travail fut rude et le parcours semé d'embûches, cet instrument exigeant doigté, coordination et polyvalence, aussi bien du souffle que des mains. Heureusement Rosa pouvait compter sur sa détermination et son obstination qui la poussait à ne jamais lâcher l'affaire.

Un jour d'Avril 85, Maria Wachowski, sa meilleure amie, avec qui elle faisait des bœufs depuis déjà quelques années, dans un petit studio qu'elles louaient à un voisin et avaient aménagés avec du matériel glané à droite à gauche, ou acheté avec leurs économies, lui proposa de former un groupe. De par cette simple proposition, en apparence anodine, une étincelle s'alluma en Rosa, elle avait désormais un nouvel objectif, un nouveau chapitre de sa vie s'ouvrait à elle.

Écrire ses propres compositions et devenir professionnelle !

Dorénavant elle ne serait plus une artiste solo, mais un membre à part entière du duo de blues/souls : Ghost Doves.

Les colombes fantômes.

Une guitariste et une saxophoniste, Pologne et États-Unis, deux femmes à la conquête du monde de la musique.

De cette collaboration naquirent des textes sur la famille, le déracinement, le sentiment d'abandon dans un monde qui vous persécute, la difficulté de lutter pour la paix et l'amour de son prochain, dans un monde en conflit permanent, inspirés par l'histoire des peuples noirs des États-Unis et les guerres du 20e siècle. Une des préférés de Rosa étant une balade au chant et au ukulele, en hommage à son grand-père et à son parcours de vie, qui la fascinait depuis qu'elle était en âge de comprendre. Une chanson acoustique où elle revient sur toutes les étapes de sa vie, de la fuite de sa famille vers la France, pour fuir la ségrégation des années 30, à son internement forcé dans le camp nazi d'Auschwitz, où il rencontrera Laura, à qui il se mariera après leur libération.

Les années passant et les textes s'accumulant, elles commencèrent, petit à petit à enregistrer diverses démos, économisant le plus possible à coup de petits boulots et d'enveloppes cadeaux offertes par les proches, épluchant les petites annonces et toquant à toutes les portes, dans l'espoir de trouver un studio qui leur ouvrirait ses portes vers l'étape ultime de leur longue et périlleuse aventure:

La production de leur tout premier album.

Un beau matin d'Automne 2000, sa mère proposa de lui donner un coup de main en recontactant les amis de son père, qui l'avait aidé à apprendre le saxophone quand elle était petite, après tout, peut-être pouvaient-ils avoir quelques tuyaux. Malheureusement les années avaient passées et le temps en avait emporté la grande majorité. Seul deux était encore debout, Georges et Léon. Le premier profitait de sa retraite dans un petit village du Marais Poitevin, en s'occupant de son potager, le second quand à lui, diminuée par la maladie, avait dû aller en maison de retraite. Les deux jeunes femmes partirent à leur rencontre et à la suite d'un long et passionnant entretien, au cours duquel les deux hommes étaient revenus sur leur parcours musical en tant que musiciens de sessions, il fut décidé qu'ils passeraient quelques coups de fils à des anciens collaborateurs et leur ferait écouter les démos des jeunes filles.

Quelques jours plus tard, elles reçurent un coup de fil, leurs prières avaient été exaucées ! Un producteur, M. Desroches, acceptait de les recevoir pour faire quelques essais et voir s'il acceptait de signer l'enregistrement de leur premier disque!

Le rendez-vous était fixé à Niort, la capitale départementale, pour dans quatre jours.

Les filles n'en revenaient pas. Elles allaient enfin avoir l'occasion de faire leur preuve. Finies les répétitions dans leur petit local de bric et de broc, cette fois elles s'attaquaient à du sérieux. Elles allaient devoir donner le meilleur d'elles-mêmes ! Pendant trois jours, elles révisèrent leurs textes et réglèrent chants et instruments, encore, encore et encore, jusqu'à ce que tout soit impeccable. Elles devaient être dignes du monde professionnel, il ne fallait rien négliger.

Enfin le grand jour arriva, après tant d'années d'efforts elles allaient enfin pouvoir se prouver que tout ce travail n'avait pas été fait en vain. Elles se mirent sur leur 31 et s'en allèrent montrer de quel bois elles se chauffaient. Ce fut une épreuve de haute volée, elles qui n'avaient travaillés jusque là qu'avec du matériel amateur, voilà qu'elles se retrouvaient avec des machines dignes des plus grands artistes, elles passèrent la première heure à se familiariser avec le matériel. Puis, remplie de trac mais déterminées à aller jusqu'au bout, elles se lancèrent et entamèrent leur performance.

Après une heure de prestation, M. Desroches leur demanda d'aller patienter dans la salle d'attente, pendant qu'il délibérait avec son équipe. Les demoiselles, fébriles, retenaient leur souffle, la fin de leur quête était à portée de main, l'aval du producteur était tout ce qui leur manquait. Elles croisaient les doigts et priaient tous les dieux qu'elles connaissaient pour que la chance tourne en leur faveur. Enfin, après une attente qui leur parut interminable, la sentence tomba :

M. Desroches était satisfait et acceptait de les produire.

Rosa n'en crut pas ses oreilles, vingt-trois ans après avoir commencé son aventure musicale, après tant de sacrifices et d'acharnement, après avoir sué sang et eau, son rêve allait se réaliser.

Débuta alors un travail de plusieurs semaines, où pendant de longues heures elles s'appliquaient et répétaient soigneusement et consciencieusement chaque morceau, repérant chaque petite imperfection pour la corriger aussitôt, un morceau après l'autre. Elles nageaient dans le grand bain, elles devaient être irréprochables. Finalement, un morceau fut mis en boîte, puis un deuxième, puis un troisième. Plus le temps avançait plus elles arrivaient à atteindre un rythme de croisière, devinant instinctivement les moyens d'éviter telle ou telle imperfection, rendant leur progression plus fluide.

Un doux soir de décembre, alors qu'elles venaient de terminer les trois quarts d'un quatrième morceau, et tandis qu'elles s'en retournaient tranquillement vers leur appartement, un des pneus de leur voiture éclata. Maria tenta de garder le contrôle, en vain, elle fit une embardée et croisa le chemin d'un poids lourd qui roulait en sens inverse. Malgré tous les efforts des services d'urgence, Maria sera la seule à reprendre connaissance.