Chapitre 1

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Chapitre 1

Ligurie 1796

La grêle tapait sur la toile de tente, une violente averse s'abattait sur le bivouac.

-          Larmes ou pluie ? demanda le vieux Eugène. A vrai dire j'en ai tant entendu couiner après s'être fait arracher un membre, que mon oreille ne différencie plus leurs cris du grondement des éclairs. Ah ! satanés boulets qui m'ont volés mes tympans !

Le briscard moucha ses yeux vides, dépourvus de pupilles, dans un chiffon de soie.

-          Pluie. Répondit sèchement Masséna, penché sur une carte de campagne.

Levant les yeux du parchemin jauni, son regard s'attarda sur Eugène. Il s'amusa à imaginer son aide de camp dans la fleur de l'âge, juste avant son enrôlement, sans toutes ses cicatrices, ses balafres qui faisaient de son visage un sentier déformé par les semelles d'un million de bottines. Son esprit vit en ce bossu vautré dans son fauteuil un grand blond fougueux, à moins qu'il ne fut plutôt un petit brun trapu, la question resterait à jamais en suspens, la fureur du champ de bataille ayant réduit la pilosité d'Eugène à de rares brins réfractaires sur le menton et aux aisselles, du reste, son crane ressemblait à une balle de bowling fripée, sur laquelle nageaient de longues veines serpentines. Il revint à sa carte en soupirant.

-          Messieurs, clama-t-il à l'intention des deux généraux assis près du feu de bois, notre situation est peu enviable. La guerre de siège des coalisés a porté ses fruits, pris en tenaille, avec pour ne rien arranger, la méditerrané dans le dos, nous nous trouvons sur notre gauche à la merci des armées sardes, et sur notre droite à celle des Autrichiens et de leurs perfides bouches à feu.

-          Sans faire état de notre infériorité numérique. Surenchérit Argentau sans se désintéresser de ses registres.

Courbé par de longues années d'études, le dos du général Argentau prenait la forme d'un U inversé, dont le deuxième pied, une tête rose, male rasée, passait en revue des liasses et des liasses de notes sans discontinuer. Celui-là était un maniaque des chiffres, il arriva qu'il dépense des journées entières à tenir ses répertoires.

-          25 soldats tués lors de la dernière escarmouche et une dizaine d'autres morts d'hémorragies ou de blessures. Notre dernière tentative de briser l'encerclement s'est révélée peu fructueuse. Il faut ajouter 45 estropiés à notre lot de blessés, et 15 autres hors de combat. Nos réserves de provisions aussi s'amenuisent et ...

Les paroles d'Argentau se perdirent dans l'oreille distraite de Masséna. Les statistiques de son collègue avaient beau paraitre absurdes, comme tirées d'un chapeau de magicien, l'officier se trouvait devant le fait accompli. L'étau se resserrait de jours en jours, les coalisés pouvaient attaquer d'une minute à l'autre. Lorsque Beaulieu et ses alliés entreront en action, qu'aurait-il à leur opposer ? Sinon de brigades épuisées qui iraient se jeter tout droit dans le golfe de Ligure, de grenadiers démotivés, affamés, pourtant ultimes remparts de la république ! Deux ans de labeur pour ce triste résultat ... pour une armée d'Italie dont les braves guerriers ne se résument plus qu'à des divisions haletantes de mendiants. Masséna le sait, s'il tombe, la France tombe avec lui, alors que faire. Se rendre ? hors de question ! se battre ? pour conduire au massacre méthodique de ses hommes, même pas en rêve !

-          Messiers l'urgence est au rendez-vous, il nous faut trouver du contre jeu immédiatement si nous voulons ne serait-ce qu'espérer sauver nos troupes des griffes autrichiennes.

Un rugissement empli la tente d'un écho saoul. Le général Serrurier éclata d'un rire ivre tout en grattant son nez rouge de clown.

-          Futi'l, sommons déjà sauvé, on raconte que notre messi est en route pour nous t'irer de ce'z guêpier, un jeune généra'll que nous envoie le gouvernement zoyez zans craintes.

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⏰ Dernière mise à jour : Dec 05, 2023 ⏰

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Journal de la campagne d'Italie 1796-1797Où les histoires vivent. Découvrez maintenant