1 - Karma négatif !

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 Affalé dans mon fauteuil de bureau en cuir, flambant neuf, je savourai ma pause syndicale méritée. Le thé noir, disposé devant moi, embaumait l'air d'un parfum puissant et les écouteurs, enfoncés dans mes oreilles, m'aidaient à me délecter de cette interruption programmée, en compagnie d'un livre audio.

Lecteur bookovore depuis l'enfance, j'avais toujours eu une préférence pour le format papier. L'odeur d'un ouvrage neuf, le bruissement des pages lors d'une lecture enivrante avec la mélodie de la pluie en fond sonore, de mon point de vue, il n'y avait pas plus merveilleux.

Malgré mon amour indicible pour les éditions que je pouvais feuilleter, j'avais décidé de m'essayer aux audios à cause d'un événement récent ; ma bibliothèque, vieil assemblage de bois reconstitué, venant d'une marque bien connue et que je me traînais depuis mon adolescence, avait cédé sous le poids des trop nombreux romans que j'y entassais. Le drame s'était déroulé un dimanche après-midi calme. Je me trouvais alors non loin de ce meuble et les péripéties s'étaient enchaînées à une vitesse fulgurante.

Quand l'étagère principale s'était brisée en deux, déversant son contenu littéraire sur mon parquet, tel le vomi malodorant d'un mec bourré en sortie de boîte, j'avais sursauté avec violence. Mon geste avait causé la chute de mon mug, qui avait vidé la moitié de la théine bouillante qu'il contenait sur mon t-shirt. La douleur qui en résulta m'avait permis de produire un hurlement inhumain qui avait affolé le chien de mes voisins, un molosse noir impressionnant. Des aboiements furieux avaient empli la cage d'escalier en un instant. Ces derniers avaient braillé à leur tour, tant le cabot donnait de la voix.

L'intégralité de cette scène surréaliste avait atteint son paroxysme quand, convaincus qu'il m'était arrivé quelque chose, ces fameux voisins avaient contacté un autre habitant de l'immeuble.

Quelques minutes plus tard, l'intéressé tambourinait à ma porte en beuglant que la police était en route. J'avais ouvert, penaud, et avais vécu l'humiliation d'expliquer que « mon exclamation de terreur » n'était due qu'à la casse d'une planche de bois et de la théine renversée sur moi – le t-shirt encore trempé pour preuve.

Depuis, j'avais la réputation d'être un voisin peu sympathique et je m'étais laissé convaincre malgré moi par les livres audio...

— Lucas ! maugréa mon patron.

Agacé d'être coupé dans mon écoute, j'ouvris un œil pour apercevoir monsieur Muller, les poings posés sur les hanches, dans une attitude gonflée de mécontentement. Autour de lui, mon bureau – à peine plus qu'un hall devant l'ascenseur – lui ressemblait tellement qu'ils auraient pu se fondre l'un dans l'autre. Tous les deux se montraient vieux, manquaient d'entretien et ne m'apportaient que de la morosité à la vue de leurs couleurs ternes. Il soupira d'une déception flagrante qui emplit l'espace en même temps que son haleine, aromatisée aux anchois qu'il engloutissait par kilo au petit-déj'.

— Je te l'ai déjà dit ; tu peux prendre ta pause ici, mais s'il te plaît, enlèves au moins tes rangers du bureau !

Il semblait excédé par mon comportement et je l'étais tout autant de son caractère.

— Ce ne sont pas des rangers, mais des Doc Martens. Je ne comprends pas comment vous pouvez confondre les deux...

— Le problème n'est pas là, Lucas ! se fustigea-t-il. Si des clients arrivent et te voient comme ça...

J'ôtai mes pieds de mon poste et me levai, dans l'intention de partir.

— Je suis votre secrétaire, je sais quand des gens sont susceptibles de débarquer, c'est mon boulot. Est-ce que vous avez déjà eu à vous plaindre de moi ?

Unsafe World [MxM BDSM]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant