La tempête

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Ces sages et sérieuses pensées durèrent tant que dura la tempête, et même quelque temps après; mais le jour d'ensuite le vent étant abattu et la mer plus calme, je commençai à m'y accoutumer un peu. Toutefois, j'étais encore indisposé du mal de mer, et je demeurai fort triste pendant tout le jour. Mais à l'approche de la nuit le temps s'éclaircit, le vent s'appaisa tout-à-fait, la soirée fut délicieuse, et le soleil se coucha éclatant pour se lever de même le lendemain: une brise légère, un soleil embrasé resplendissant sur une mer unie, ce fut un beau spectacle, le plus beau que j'aie vu de ma vie.
J'avais bien dormi pendant la nuit; je ne ressentais plus de nausées, j'étais vraiment dispos et je contemplais, émerveillé, l'océan qui, la veille, avait été si courroucé et si terrible, et qui si peu de temps après se montrait si calme et si agréable. Alors, de peur que mes bonnes résolutions ne se soutinssent, mon compagnon, qui après tout m'avait débauché, vint à moi:—«Eh bien! Bob, me dit-il en me frappant sur l'épaule, comment ça va-t-il? Je gage que tu as été effrayé, la nuit dernière, quand il ventait: ce n'était pourtant qu'un plein bonnet de vent?»—«Vous n'appelez cela qu'un plein bonnet de vent? C'était une horrible tourmente!»—«Une tourmente? tu es fou! tu appelles cela une tourmente? Vraiment ce n'était rien du tout. Donne-nous un bon vaisseau et une belle dérive, nous nous moquerons bien d'une pareille rafale; tu n'es qu'un marin d'eau douce, Bob; viens que nous fassions un bowl de punch, et que

nous oubliions tout cela. Vois quel temps charmant il fait à cette heure!»—Enfin, pour abréger cette triste portion de mon histoire, nous suivîmes le vieux train des gens de mer: on fit du punch, je m'enivrai, et, dans une nuit de débauches, je noyai toute ma repentance, toutes mes réflexions sur ma conduite passée, et toutes mes résolutions pour l'avenir. De même que l'océan avait rasséréné sa surface et était rentré dans le repos après la tempête abattue, de même, après le trouble de mes pensées évanoui, après la perte de mes craintes et de mes appréhensions, le courant de mes désirs habituels revint, et j'oubliai entièrement les promesses et les vœux que j'avais faits en ma détresse. Pourtant, à la vérité, comme il arrive ordinairement en pareils cas, quelques intervalles de réflexions et de bons sentiments reparaissaient encore; mais je les chassais et je m'en guérissais comme d'une maladie, en m'adonnant et à la boisson et à l'équipage. Bientôt j'eus surmonté le retour de ces accès, c'est ainsi que je les appelais, et en cinq ou six jours j'obtins sur ma conscience une victoire aussi complète qu'un jeune libertin résolu à étouffer ses remords le pouvait désirer. Mais il m'était réservé de subir encore une épreuve: la Providence, suivant sa loi ordinaire, avait résolu de me laisser entièrement sans excuse. Puisque je ne voulais pas reconnaître ceci pour une délivrance, la prochaine devait être telle que le plus mauvais bandit d'entre nous confesserait tout à la fois le danger et la miséricorde.
Le sixième jour de notre traversée, nous entrâmes dans la rade d'Yarmouth. Le vent ayant été contraire et le temps calme, nous n'avions fait que peu de chemin depuis la tempête. Là, nous fûmes obligés de jeter l'ancre et le vent continuant d'être contraire, c'est-à-

dire de souffler Sud-Ouest, nous y demeurâmes sept ou huit jours, durant lesquels beaucoup de vaisseaux de Newcastle vinrent mouiller dans la même rade, refuge commun des bâtiments qui attendent un vent favorable pour gagner la Tamise.
Nous eussions, toutefois, relâché moins long-temps, et nous eussions dû, à la faveur de la marée, remonter la rivière, si le vent n'eût pas été trop fort, et si au quatrième ou cinquième jour de notre station il n'eût pas soufflé violemment. Cependant, comme la rade était réputée aussi bonne qu'un port; comme le mouillage était bon, et l'appareil de notre ancre extrêmement solide, nos gens étaient insouciants, et, sans la moindre appréhension du danger, ils passaient le temps dans le repos et dans la joie, comme il est d'usage sur mer. Mais le huitième jour, le vent força; nous mîmes touts la main à l'œuvre; nous calâmes nos mâts de hune et tînmes toutes choses closes et serrées, pour donner au vaisseau des mouvements aussi doux que possible. Vers midi, la mer devint très- grosse, notre château de proue plongeait; nous embarquâmes plusieurs vagues, et il nous sembla une ou deux fois que notre ancre labourait le fond. Sur ce, le capitaine fit jeter l'ancre d'espérance, de sorte que nous chassâmes sur deux, après avoir filé nos câbles jusqu'au bout.
Déjà une terrible tempête mugissait, et je commençais à voir la terreur sur le visage des matelots eux-mêmes. Quoique veillant sans relâche à la conservation du vaisseau, comme il entrait ou sortait de sa cabine, et passait près de moi, j'entendis plusieurs fois le capitaine proférer tout bas ces paroles et d'autres semblables: —«Seigneur ayez pitié de nous! Nous sommes touts perdus, nous

Les aventures de Robinson CrusoéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant