Pour être libre

chapitre 13

Jayden

Cette chambre est tout simplement sublime. Ici tout est lumineux.
La porte fenêtre s'ouvre sur la terrasse qui fait le tour du chalet et la forêt qui le jouxte.

Sur le lit se trouve un magnifique couvre lit que je devine être une création de Maddy. Je comprends mieux la motivation de mon décorateur, le travail est sublime, délicat, minutieux.

Je me rappelle encore sa tête lorsqu'il a reçu le mail qui lui annonçait qu'il était impossible de fournir ce qui était demandé, dans les délais exigés,
Bien sûr ce con exigeait une livraison immédiate, et la créatrice disait avoir des commandes à honorer pour les six mois à venir, et que cette demande pourrait être pour le pape en personne, elle n'était pas prête à se rendre à Lourdes pour faire un miracle.

Le pauvre a failli en faire une jaunisse. Je l'ai entendu pester pendant des jours.
Et ça m'a permis de me coucher moins con, puisque j'en ai profité pour découvrir en quoi consistaient les miracles dans cette ville française.
Mais visiblement, effectivement, à moins de provoquer la pousse de bras supplémentaires, je doute que le voyage aurait eu le moindre impact.

S'il voyait une de ces merveilles, reposer tranquillement sur un lit tout simple au fin fond des bois, il serait totalement en mode drama-queen.

Je range rapidement mes fringues dans l'armoire.
J'ai fait une lessive hier , donc tout est propre.
Les trois abrutis n'ont absolument pas compris ma démarche, arguant que je pourrais demander à ma famille de s'en occuper à mon arrivée chez eux, du coup j'ai dû inventer une histoire foireuse, d'arrivée surprise chez ma grand-mère, et qu'il n'y aurait personne pour le faire à temps pour la soirée prévue.

Ils ont fait semblant de comprendre, et moi j'ai fait semblant de croire qu'ils trouvaient ça cohérent.
La discussion était terminée, et tout le monde en était content.

Une fois fait, je me rends au deuxième chalet. J'ai repéré où se trouvaient les sacs poubelle, le balai et la serpillière.
Avant de la passer, je récupère toute la nourriture périssable que je mets dans un panier pour l'emporter chez Elijah.

Je jette ensuite tous les détritus dans le container prévu à cet effet à côté de l'appentis. C'est dingue comme quatre personnes peuvent laisser comme merdier en seulement cinq jours.
Heureusement que j'ai trouvé des gants, parce que ce que j'ai trouvé dans les poubelles des chambres est tout simplement répugnant.
On peut dire que pendant deux nuits, le trio s'en est donné à cœur joie. Je pensais pas qu'on pouvait utiliser autant de capotes en si peu de temps.

Lorsque j'arrive avec mon panier, Elijah me montre où tout ranger entre la cuisine et le garde manger.
Je n'avais pas imaginé qu'il pouvait y avoir un sous-sol sous la maison, l'entrée passe totalement inaperçue.
Celui-ci est creusé en profondeur dans la terre, pour conserver une température ambiante constante, été comme hiver d'après Elijah.
Il y fait frais, c'est vrai, mais c'est agréable.
Je peux constater que les étagères sont bien remplies.
Visiblement ici on est prévoyant, parce qu'on pourrait tenir un siège de plusieurs mois avec tout ce que je vois là.

Lorsque je remonte, je trouve Elijah en cuisine. Il prépare le dîner de ce soir.

- Je peux aider à quelque chose ?
- je suis en train d'éplucher les pommes de terre, si tu veux, tu peux t'occuper des carottes. Tu t'es déjà servi d'un économe ?
- Oui, quand j'étais jeune j'aidais ma mère à préparer les pique-niques quand on partait en ballade au lac ou faire du kayak.
Ça fait un moment, mais je dois savoir encore faire.
Tu as prévu quoi pour ce soir ?
- Œufs mimosa en entrée, et ensuite rôti de porc et légumes cuits au four dans le plat du rôti. Et le gâteau au chocolat que j'ai pris tout à l'heure au magasin,
C'est pas un menu très régime, mais...
- Je ne veux plus entendre parler de nourriture de régime, light ou toute autre appellation visant à me rappeler que je dois surveiller la ligne. Je ne compte plus donner de spectacle sur scène, donc mon image, je m'en bâts le steak.
Je veux enfin pouvoir manger de la nourriture qui a du goût.
- C'est ce que je m'étais dit. Et puis franchement je vois pas pourquoi on te demandait de faire aussi attention. Il me semble qu'une tournée de plusieurs mois, c'est une grosse dépense d'énergie.
- Ouais, généralement je perds 6-7 kilos à chaque fois, et j'ai dû me battre à chaque fois pour qu'on me les laisse reprendre.
Parce que plus j'étais maigre, plus je paraissais jeune, et donc accessible à mes fans. Beurk, comme si j'allais me taper des gamines de 13-14 ans.
- Donc tu es vraiment décidé, fini la scène ?
- Totalement ! Je n'ai jamais aimé chanter. Encore moins en public.
Tu dois toujours faire attention à épargner ta voix. Tu parles, une excuse pourrie pour me faire fermer ma gueule oui...
- Hey visiblement ça doit être efficace puisque pendant ce temps tu n'as jamais pu faire valoir tes envies.
- Oh, au début j'ai essayé. Mais étrangement, chaque fois que j'essayais, un de mes parents me contactait pour me remettre dans les rails.
Quand tu as personne pour te soutenir, tu apprends vite à pas te fatiguer pour rien.
- Y'a un truc que je comprends pas.
Quand tu parles de ton enfance, j'ai l'impression d'une vie heureuse.
Qu'est-ce qui s'est passé pour que les choses changent autant ?
- Environ six mois avant qu'on ne me propose le contrat, mon père a perdu son boulot. L'usine dans laquelle il était chef d'équipe a été délocalisée en Amérique du sud pour pouvoir économiser sur les coûts de production.
On lui a proposé la mutation, mais il l'a refusée, pensant rapidement trouver un autre poste.
Sauf que le départ de l'entreprise a laissé pas mal de monde sur la carreau, et n'étant pas dans les plus jeunes, il n'a pas retrouvé ce qu'il espérait.
Du coup quand le label m'a proposé le contrat, ils ont juste vu le gros chèque à la clef. Pas les contraintes que l'on m'imposerait.
Ils ont très vite pris goût à la vie luxueuse qu'on leur offrait.
- Et tu es sûr que tu ne vas pas culpabiliser de les laisser tomber face u label ?
- Oui j'en suis sûr. Quand j'ai appelé au secours, ils ne m'ont jamais aidé, au contraire. Plusieurs fois je leur ai demandé d'intervenir.
Jamais ils n'ont accepté de faire quoi que ce soit.
Mon père m'a même dit qu'il avait sacrifié sa vie pour ne pas nous déraciner ma mère et moi. Alors que perso, je me foutais de l'endroit où on vivait.
Du coup il a choisi de sacrifier la mienne en contrepartie.
J'estime que les cinq ans que je viens de leur donner compense largement tout ce qu'ils ont jamais pu faire pour moi.
Leurs comptes sont pleins, ils ont qu'à réapprendre à vivre plus simplement et ils ne seront alors pas dans la merde.
- Parce qu'ils touchaient également des revenus en plus d'être logés par le label ?
- Oui 5% de ce que je gagnais. Au total ils ont empoché 8 millions de dollars. Je crois qu'ils peuvent s'en sortir sans moi.
- Oh la vache, oui !
Je comprends mieux pourquoi tu t'en fais pas pour eux.
Bon, je vais mettre tout ça au four, comme ça ce sera prêt quand Rick et Alex seront là.
Tu sais jouer au poker ? Je me suis dit qu'on pourrait faire une partie ce soir puisqu'on sera quatre.
- J'y ai joué enfant, mais je suis pas très doué. Et puis j'ai pas beaucoup d'argent liquide sur moi...
- Oh ici on ne joue pas d'argent, uniquement des jetons. Au pire le gagnant donne un gage au premier perdant.
La dernière fois j'ai gagné contre Maddy et elle a dû me faire une excellente tarte aux poires. Je suis fan de ses pâtisseries, ça m'a motivé à gagner. J'ai dû batailler contre son mari, je le soupçonne d'avoir voulu lui imposer un gage coquin.
- Oh c'est original. Toutes les parties auxquelles j'ai pu assister ces dernières années se jouaient exclusivement pour de l'argent. Ça finissait toujours par provoquer des tensions.
- Et bien tu verras pas ça ici. L'argent n'est qu'un moyen dans le coin, pas un but. Nous avons tous de quoi vivre tranquillement, donc nous ne sommes pas avides.
- Pourtant ton amie Maddy doit bien gagner sa vie, elle vend plutôt cher ses créations.
- Sur son site, et aux boutiques avant, oui. Vu le temps qu'elle passe dessus, c'est un juste retour. Et de toutes façons les gens lui proposent encore plus pour espérer passer leurs commandes en priorité, ce qu'elle refuse.
Elle se sert de l'argent supplémentaire, qu'elle gagne en ayant éliminé les intermédiaires, pour aider à financer un petit dispensaire en ville.
Ça permet aux locaux de se faire soigner sans être obligé de se faire rappatrier sur Des Moines.
- C'est tellement généreux...
- Je te l'ai dit, les petites communautés doivent miser sur la solidarité.
C'est pour ça aussi que la plupart des hommes du coin font partie des pompiers bénévoles.
- On est vraiment dans un tout autre monde que celui-ci du show business. Ça ne viendrait à l'idée de personne de faire ce genre de choses malgré le fric qu'ils gagnent. Enfin en tous cas, dans les gens que je cotoyais.
- Et bien tant mieux, puisque tu as l'air de ne pas trop apprécier ce milieu.
- Arrête, je vais jamais pouvoir partir du coin si tu continues.
- Est-ce que ce serait une si mauvaise idée ? Tu as dit que ce que tu avais besoin c'est d'un coin tranquille et d'internet de temps en temps pour transmettre tes compos.
Ce serait totalement faisable, regarde la femme de Mitch...
- Je sais ! Et c'est exactement ce que je me dis tout les matins depuis que j'ai mis les pieds ici. Mais je me dis qu'à force d'en rêver, je vais me porter la poisse et que quelque chose va finir par merder.
- Bon alors on en parle pas et tu n'as qu'à te dire que tu es simplement toujours en vacances et pas en cavale.

Si seulement... Mais j'ai tellement envie de cette vie...
Et voir Elijah chaque jour, c'est pas ce qui va m'aider à vouloir repartir...

Au contraire...