Chapitre 23 / L'ENFANT DU PÉCHÉ

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Sadeck est seul dans cette chambre où il y a encore si peu de temps la présence de Lucile lui prodiguait, douceur et réconfort.

Le fauteuil de cuir, le lit défait, la table basse et les partitions qui se mélangent aux pages des livres,
ré-inventent une âme à cette vieille demeure.

Tout semble lui rappeler que les années passent mais n'emportent jamais les peurs et les doutes. La douleur est toujours présente et laisse planer des sons et des silences sur toutes ces choses qui pèsent sur sa conscience.

Le sommeil s'empare enfin de son corps et la part des anges combat celle des démons dans un monde de songes lui révélant un bien étrange flashback !

Saïgon

Vingt ans plutôt,

La mère supérieure du pensionnat de Lyautey est assise à son bureau. Elle se formalise de toutes les taches qui lui sont conférées et se rend à l'évidence qu'une aide ne serait pas superflue.

Toutes les fin de semaines elle doit rendre des comptes à la famille KIM sur le bon fonctionnement de l'établissement.

Sa rentabilité, le suivi mensuel des cotisations acquittées pour l'ensemble des pensionnaires, la maintenance des installations sanitaires, la gestion des denrées alimentaires et ...

Beaucoup trop de choses, pour une seule femme si persévérante et dévouée soit-elle !

C'est la fin de la semaine et elle entend déjà le bruit de la mécanique bien huilée de la Léon Bollée du fils aîné des KIM, se garer dans la cour de gravillons.

Mais lorsqu'en cette journée à la chaleur étouffante, Xupang KIM frappe à la porte et pénètre dans le grand bureau,

Il n'est pas seul ?

Il tient par la main, une jeune autochtone qui est du reste très jolie, mais dont la mère supérieure n'a jamais entendu parler au sein de cette richissime famille.

Cette jeune femme s'appelle Loân-ni et Xupang en est semble-t-il très amoureux. Seulement voilà, elle n'est qu'une roturière, pas d'origine chinoise et il sait très bien que son père n'acceptera jamais de les marier.

Surtout si il apprend que cette malheureuse est enceinte de son fils héritier...

Xupang n'a donc d'autre recours que de demander de l'aide à la mère supérieure. Il lui faut mettre à l'abris sa bien aimée et lui trouver une famille où elle pourra mettre au monde leur enfant en toute sécurité.

Quoi de mieux que le pensionnat qui sous ses airs de couvent, allait accueillir Loân-ni et la préserver des regards indiscrets jusqu'à la naissance de cet enfant illégitime.

C'est ainsi qu'à la fin de la saison des pluies en l'année du singe, à l'ombre des murs de Lyautey, une jolie petite fille allait voir le jour et sa mère devenue, « soeur Loân » pour la circonstance, allait lui offrir son sein et l'aimer à l'abri des regards indiscrets.

En souvenir de cet amour impossible pour Xupang, elle donnera à sa fille le prénom de ... Thīanne.

Celle qui est juste, bonne et vertueuse.

.. / ..

La nuit de Sadeck ne lui a guère redonné le sourire et lorsqu'il croise Thīanne au petit déjeuner, il ne peut s'empêcher de repenser à toute cette sombre histoire
que sa nuit lui a révélée.

LES AMANTS DE SAÏGON 🈴Où les histoires vivent. Découvrez maintenant