Le dîner des nobles

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Après sa conversation avec la gouvernante Serene, Arioch fut guidé jusqu'à une chambre, où des serviteurs avaient déjà déposé ses affaires, et à cette chambre était connectée une salle de bain. Là, il trouva une baignoire dont l'eau venait tout juste d'être chauffée à côté d'un tabouret sur lequel étaient posés des parfums qu'il identifia comme parfums pour femme, ce qui lui fit penser que peut-être sa tante avait délibérément retardé sa propre toilette pour qu'il puisse se laver le plus rapidement possible. Il se promit de la remercier pour l'attention plus tard. La salle de bain était relativement nue, le sol était un simple parquet sans tapis, et les murs étaient exempts de décoration. Un miroir était présent dans un coin de la pièce, et une simple fenêtre donnait sur une cour herbeuse et un tronçon de rue sur lesquels il pouvait jeter un œil d'en haut. En bas, sous le soleil, un homme aux épaules larges et aux cheveux châtains mi-longs habillé de vêtements simples et amples discutait avec une silhouette encapuchonnée, portant une longue cape dissimulant son corps. Soucieux qu'il puisse s'agir d'un voleur qui venait tout juste d'être surpris en train de repérer les lieux, Arioch ouvrit la fenêtre.

« Eh, vous là ! » lança-t-il d'une voix forte et autoritaire.

Les deux personnages se retournèrent comme un seul homme vers lui. Il put apercevoir les traits de l'inconnu en cape. Ce fut la première fois qu'il vit la dame parfaite.

Elle n'était pas parfaite pour son esprit, ou ses manières, dont Arioch ne pouvait juger de là où il était. Elle n'était pas parfaite pour sa connaissance de l'étiquette, probablement inexistante au vu de sa tenue, ni pour son goût vestimentaire, au vu de la cape et du capuchon sombre et de la tunique et du pantalon sombre qu'elle portait. Elle n'était pas non plus parfaite pour son corps, dont l'entièreté était dissimulée par cette même cape. Ce qui frappa Arioch, les quelques secondes où il la vit, c'était la perfection complète des traits de son visage, comme si le sculpteur qui avait créé ce faciès était arrivé au terme de son œuvre. Aucune ride, aucun grain de beauté, ni tache de rousseur sur celle-ci. L'imperfection n'existait simplement pas sur ce visage, dont les traits d'une harmonie surnaturelle auraient fait chavirer le cœur de n'importe quel homme ou femme qui aurait eu le malheur de les contempler plus de quelques secondes.

Puis, aussi vite qu'il était apparu, ce visage se déroba à sa vue, laissant Arioch pantois devant la fenêtre. Pendant il ne sut combien de minutes, il resta ainsi, immobile, comme si son âme avait été emportée par ce visage. Puis, enfin, il se remit à bouger, machinalement. Il referma la fenêtre, s'en écarta, se déshabilla dans la salle de bain, s'observa dans le miroir. Malgré ses grands airs, il n'avait toujours que le corps d'un garçon, les miroirs se chargeaient de le lui rappeler à chaque fois qu'il prenait son bain. Svelte, quoique certains diraient maigre. Blanc, bien que les mauvaises langues diraient pâle. Dépourvu de poils, et là il ne pouvait rien dire, c'était bien le cas. Il avait un corps largement glabre, sauf en bas, où ça commençait finalement à pousser. Il soupira à nouveau. Ce n'était pas avec ce genre d'atout qu'il allait attirer une compagne. Son frère, Zakiel, avait pour lui des hauts faits, une personnalité agréable et un corps musclé, mais Arioch n'avait rien de tout ça. Il n'avait que sa naissance.

Le jeune garçon se glissa dans son bain, et se laissa infuser dans l'eau brûlante en fermant les yeux. Il n'avait aucun souci avec l'eau chaude. A sa grande déception, il n'en avait jamais avec l'eau chaude, celle-ci lui paraissait toujours tiède. Lentement, il se laissa endormir dans l'eau. Et il rêva.

Son rêve le porta dans une étendue glacée, sombre et infinie. Un néant total, dans lequel il ne voyait rien, si ce n'était des volutes de fumées ici et là se rassembler en une vague forme humanoïde. Prendre tour à tour la silhouette d'un homme. Puis de son frère, puis sa mère, et son père. Puis prendre la silhouette d'une grande femme. Sa forme se fixa, se solidifia pour former un vrai corps. Petit à petit, il commença à deviner la Dame Parfaite d'un peu plus tôt, et ses traits harmonieux. Etrangement, il ne distinguait aucun détail en dessous de son cou ; ses yeux étaient noirs, et ses iris semblaient changer de couleur, passant d'un violet sombre à un bleu brillant. La jeune femme le regarda d'un sourire amusé, mais également sournois. Arioch sentit le froid se renforcer un instant, avant de s'évanouir alors qu'il émergeait de son rêve, en entendant encore les premiers mots de la Dame Parfaite.

Les Chroniques d'Ashoris - L'Âge de GangrèneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant