Bienvenue en 2024

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Mais bon sang. Où est-elle ? Je rentre dans la cuisine bondée sur la pointe des pieds en espérant distinguer une chevelure rousse familière. Mais c'est complètement idiot puisque ma meilleure amie est à peine plus grande qu'un nain de jardin. Sans exagérer. Ou juste un peu. Alors parmi toutes ces asperges sur pattes c'est comme qui dirait mission impossible. Bon. Le décompte ne va pas tarder à commencer et je me retrouve entourée d'inconnus. C'est toujours comme ça quand je décide de la suivre. Je lui envoie un énième texto en croisant les doigts pour qu'elle réponde enfin. Je remplis mon verre d'eau avant de le boire d'une traite.

23h30 EllyeJe suis aux toilettes.

Je tape rapidement que j'arrive tout en marchant vers les escaliers qui mènent à l'étage. La porte de la salle de bain est fermée alors je toque doucement.

— Ellye, c'est moi.

Ma voix rauque à force d'avoir chanter couvre à peine la musique qui résonne. J'entends un sanglot avant que la serrure ne se déverrouille. Son visage pleins de larmes est tout rouge.

— Eh ! On peut dire merci au maquillage waterproof !

Tentative d'humour à moitié réussie. Elle rigole avant de fondre en pleure dans mes bras.

— Il-il m'a appelé complément bourré et il-il m'a dit qu'il m'aime mais... Enfin qu'il- que ce n'est plus possible entre nous. Il pense que-que je ne lui laisse pas assez de libertés. Tu trouves toi que je suis trop collante ? Pourtant je, je voulais pas hein ! Je ne dis jamais rien et pou-pourquoi ça fait aussi mal ? J'ai mal là. Et là et là. Et partout.

Elle m'indique son coeur, sa tête et son ventre. Je suppose qu'aimer de tout son être n'est pas qu'une stupide expression. Son copain n'est qu'un crétin. Enfin son ex. J'ai envie de crier au monde entier à quel point il était temps. Et puis j'ai envie de lui crier dessus à lui pour avoir fait du mal à Ellye. Leur histoire ne pouvait pas bien se finir, je le savais. Pourtant pour une fois je voulais réellement me tromper.

— Je suis désolée petite coccinelle. Désolée que tu sois tombée sur lui. Tu mérites tellement mieux. Mattieu te traite comme si tu lui appartenais. Il se donne un droit absolu sur toi et ce n'est pas normal. On en a déjà parlé. Alors s'il te plait, je sais que tu tenais à lui et je suis désolée pour ça mais dis-toi que cette année c'est la bonne ! C'est la tienne, j'en suis sûre.

Je ne sais pas ni si mes mots sont justes, ni si ils sont trop méchants. Mais je n'en pense pas moins. Elle s'est attachée à un gars qui ne se préoccupe pas d'elle. Qui pense qu'il n'a qu'a siffler pour qu'elle soit là. Elle lui donne tout. Et il ne fait jamais aucun effort. Et j'ai beau détester ne pas aimer quelqu'un. Je ne l'aime pas, lui. Il ne la fait que souffrir. Combien de fois j'ai essayé de lui expliquer ? Visiblement je n'explique pas assez bien que l'amour ne doit pas faire aussi mal. Ou alors j'ai tord ? Et c'est parce qu'il fait aussi mal qu'il est aussi fort ?

— J'ai tout fait. Et il me dit que...

Elle étouffe un sanglot et je frotte son bras de ma main droite.

— Eh. Tu n'as rien à te reprocher. Tu as essayé. Tu n'as vraiment pas à te remettre en question d'accord ? Tu me connais. Si c'était le cas, je te le dirais mais ici la seule chose que tu fais c'est t'accrocher trop fort.

— Je sais au fond de moi qu'il s'en est toujours foutu de mon existence. Mais tu sais quoi ? Ça me fait plus de mal de l'avouer que de me dire que c'est ma faute.

Je fixe le plafond et me pince les lèvres pour me retenir de lâcher une larme. Sa tristesse me vrille le cœur.

— Tu vas rencontrer un garçon qui te mérite.

Est-ce que j'en ai d'autres des comme ça ? C'est tellement bête. Elle s'en fiche, c'est lui qu'elle aime.

— Tu sais quoi ? Non. Tu avais raison, l'amour c'est nul.

Hein ? Quand est-ce que j'ai dis ça ?

— Ce n'est pas ça !

— Si. Cette année je ne vais avoir d'yeux que pour mon sport. Rien d'autre. Il faut que je sois la meilleure.

Elle se détache de moi et je plonge mon regard dans ses yeux sombres. Je panique légèrement quand je les vois s'allumer d'une lueur malicieuse.

— Je nous mets au défi.

Je hausse les sourcils comme pour lui dire « Ah ouais ? Même pas peur. »

— De ne pas tomber amoureuse cette année.

Je ricane. Je n'ai jamais eu de copain. Je crois même qu'en fait je ne sais pas comment on tombe amoureuse.

— La première qui trébuche sur cette putain de corde qu'est l'amour a perdu.

— Et c'est tout ? Après demain tu me dis que tu es amoureuse de bidule et hop j'ai gagné ? Fastoche ! je souris en pensant à ma victoire.

— D'accord très bien Miss-j'ai-peur-de-rien. Si tu tombes cette année, tu dois venir avec moi en janvier prochain aux États-Unis.

— Les États-Unis ? En Amérique ? Non tu sais bien que je ne peux pas. Il n'est pas question que je monte dans ces trucs et puis... Juste non. Je ne joues pas avec ça et tu le sais.

Je ne monterai pas dans un avion. Ce n'est pas négociable. Ellye se moque de moi.

— Oh ! Donc tu penses te trouver un copain ?

Elle a raison. En vingt-trois années d'existence je n'ai jamais eu de petit ami. Je j'ai jamais aimé inconditionnellement alors pourquoi ça arriverait cette année hein ? Je souffle.

— Bon d'accord. Marché conclu à condition que si toi tu perds tu arrêtes les compétitions pendant un mois, le temps de te reposer.

Une nanoseconde je vois ses yeux me lancer des éclairs et puis celle d'après c'est sa bouche qui hurle.

— Putain. Non. Tu sais que c'est toute ma vie. C'est juste impossible. Tu ne peux pas me demander un truc aussi absurde !

Je la regarde de travers. Elle met en jeu ma phobie et elle me reproche de m'attaquer à un truc qui la met en danger. Je rêve, non ?

— Tu me demandes un truc impossible à mes yeux et je te retourne la pareille, on est quitte non ?

Ça me paraît assez équitable. Elle hésite un moment avant d'hocher la tête et de me tendre sa main que je sers.

— Marché conclu. La première qui se rétame sur l'amour a perdu.

Est-ce qu'on vient vraiment de dire que tomber amoureuse c'était perdre ? Qu'est-ce qui cloche dans nos têtes ? J'ai une minuscule appréhension parce que je sais que: petit un, un deal est un deal et qu'on ne revient pas dessus alors si je perds, je dois le faire. Et je sais que petit deux: je déteste perdre. Et petit trois: j'ai une peur incontrôlée des avions. Mais personne ne va m'aimer et je n'aimerai personne. Enfin je vais toujours aimer mes amis mais sans jamais plus. De toute manière il n'est pas question de perdre.

Je sursaute quand les gens se mettent à crier « BONNE ANNÉE ».

— On a loupé le décompte !

Je ris face au visage paniqué de ma meilleure amie.

— La faute à qui ?

On explose de rire en se sautant dans les bras.

— Bonne année Po !

— Bonne année Lye ! Eh mais attends techniquement tu es amoureuse là, non ? On peut dire que j'ai gagné ?

On en rigole. Que la meilleure gagne.

Pas question Où les histoires vivent. Découvrez maintenant