ii. vagues

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    — Et c'est comme ça que j'suis parti ! Rien de très compliqué, tu vois

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— Et c'est comme ça que j'suis parti ! Rien de très compliqué, tu vois.

— T'es surtout très bavard, je trouve.

Un soupir lui répond. Deux heures qu'ils se côtoient, bercés par vagues, pensées et murmures, dans ce bout de ville portuaire ; deux heures où Hyunjin, si sa voix s'envole, c'est pour lui intimer silence. Jeongin en serait vexé s'il loupait ses sourires, chaque fois qu'il part en anecdote – mais ce n'est pas le cas. Malgré ses airs naïfs, il se sait écouté avec attention.

Alors il n'en fait pas grand cas, se fiant mieux aux non-dits, à la gestuelle et aux expressions du garçon océan, qu'à son laconisme. C'est que souvent, ses mots sont inverses à sa pensée, Jeongin l'a bien compris.

Il sait donc très bien ce qu'il fait, lorsque sourire taquin aux lèvres, il se penche vers lui et l'interroge.

— Parce que t'aimes pas m'écouter, peut-être ?

Ce n'est pas une question, du moins pas une dont on attend une réponse. Tous deux la connaissent et tous deux jouent un jeu, tiennent leur rôle. Rôle que Hyunjin peine à assurer, alors ce sera sans doute le premier à céder, à perdre. Mais perdre leur partie sans gagnant ni perdant, ce jeu qu'on oublie déjà, ça l'importe peu.

Parce qu'il a gagné, Hyunjin, le garçon océan a tout gagné, à peindre le garçon nuage. Il l'ignore juste encore.

— C'est bien ce que je pensais, ricane Jeongin, au silence de son interlocuteur.

Cela lui vaut une pichenette sur le front, c'est que l'autre garçon ne sait comment réagir autrement. Sa muse aussi proche et lui réduit au silence, c'est inédit, la panique l'a emporté.

— Eh, ça fait mal... se plaint le jeune homme, retrouvant sa place initiale.

Alors qu'il se masse le front, les sourcils froncés, le regret gagne Hyunjin. Ce n'est qu'une pichenette pourtant, mais penser qu'il a pu blesser cette âme si joviale, ça le contrarie. Alors il s'en veut et s'excuse, et doucement, attrape sa main. Avec une précaution quelque peu exagérée, il examine le front du garçon. D'abord perplexe, ce dernier finit par rire doucement. C'est au tour de Hyunjin de ne rien comprendre, qu'a-t-il encore fait ?

— T'es mignon mais ça va, t'en fais pas. J'aime juste faire ma drama queen, désolé.

Tiens donc. L'artiste se sent idiot, tout à coup. Ça fait si longtemps qu'il s'est isolé, il en oublie comment agir normalement, si c'est pas bête.

— Grand bien te fasse.

Alors il se protège comme il l'a toujours fait, se cache derrière la froideur des abysses. Et Jeongin, il marche sur des œufs, mais s'il faut s'y prendre ainsi avec Hyunjin, il y est prêt. Lui-même est déjà passé par là, il sait ce que ça fait, l'hiver sans fin. Alors ce soir, s'il souhaite de la compagnie et un peu de chaleur, il souhaite également lui en apporter.

— Je t'ai contrarié ?

— Pas du tout.

Visage plus doux, le voyageur hausse les sourcils, peu convaincu.

— Pas... pas vraiment, se rectifie Hyunjin, dans un souci d'honnêteté.

Ce n'est pas aisé pour lui, de fouiller ses émotions, questionner ses états d'âme. Son océan est bien trop vaste, profond et glacial, pour ça. Depuis des mois, y'a tout qu'est figé, inaccessible. Coincé dans ce même gris, sourd aux lumières aveuglantes, il a oublié comment respirer, s'exprimer.

— J'peux faire quoi, pour me racheter ? questionne finalement Jeongin, plus léger.

Prendre tout à la dérision, c'est peut-être la solution. Il ignore alors il tente, le garçon nuage. Et ça porte ses fruits, Hyunjin se met à rire. C'est une chanson mélodieuse, cristalline et apaisante, il pourrait y devenir addict, s'il ne prend pas garde.

— Calme-toi un peu, que je puisse te peindre correctement.

— T'as dit que je pourrai bouger, fait remarquer le brunet.

— Ouais, juste, pas toutes les trente secondes.

Après une dernière mimique de désarroi excessif, les protestations s'évanouissent et le modèle se fait plus silencieux, ou au moins, plus immobile. Plus calmement mais tout de même, car sinon ce ne serait pas lui, Jeongin reprend ses bavardages. S'émerveillant d'abord des lieux, il enchaîne sur quelques philosophiques pensées, celles-ci qui n'ont de sens que pour leurs songeurs, mais le charme d'envoûter. Tout cela avant de se perdre en éloges, pour les talents de son tout récent – et dubitatif quant à ce terme – ami.

Et finalement, c'est le creux de la nuit. La lune à son zénith, les voix résonnent dans le temps obscur, mais aussitôt disparaissent. Les heures gourmandes et la fatigue engloutissent tout, chaque mot, chaque pensée, chaque regard. Les esprits s'apaisent et les langues se délient, sous les étoiles curieuses. Car dans l'obscurité, on s'abandonne aux secrets.

Sans surprise, Jeongin est le premier à céder aux confidences, dans son élan loquace. Au fil des traits sur la toile, il dévoile chaque minute qui passe un peu plus de lui, de sa psyché, de son passé. La famille déchirée, les amis éloignés, les études délaissées, les longs jours de solitude, les insomnies récurrentes. Le sentiment d'étouffer, chaque seconde plus puissant.

La solitude est une amie qui leur est commune, Hyunjin ne l'aurait pas imaginé, à le voir si souriant, si bavard, si... lui.

Mais l'air de rien, ça l'aide à peaufiner son portrait, ces précisions. À savoir son histoire, la peinture est plus exacte, plus fidèle.

Le soleil arrive et Hyunjin n'a pas conté son histoire ; ce n'est pas grave, la nuit suivante sera là pour ça. Pour l'instant, l'épuisement les gagne alors d'un commun accord, ils se quittent et se donnent rendez-vous ici, demain, même heure.

La dédicace au garçon nuage n'est pas terminée.

Et ce n'était rien,

des vies embrumées qu'on veut oublier,

des passés reniés car nostalgie

a déjà trop gagné.

౨ৎ 𝗗𝗘́𝗗𝗜𝗖𝗔𝗖𝗘 𝗔𝗨 𝗡𝗨𝗔𝗚𝗘 𝗔𝗠𝗢𝗨𝗥𝗘𝗨𝗫 [hyunin]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant