Thomas et Célestine

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    C'était mon ami. J'ai été le témoin de la série d'évènements extrêmement macabres qu'ils ont tous deux vécus. Je peux difficilement en parler mais je m'en efforcerai.

   J'ai connu Thomas en 2007. C'était un garçon sympathique, simple, légèrement obsessionnel, pensif. Il avait les yeux aussi bruns que ses cheveux. On avait alors une quinzaine d'année. Il allait au collège en métro, tous les matins. Ses notes étaient correctes, bien que fragiles.

   Les années ont passées. On est entrés au lycée. Changement total d'univers : beaucoup plus de liberté, certes, mais beaucoup de plus de responsabilités. Je l'ai vu grandir, se viriliser, changer de style... Ils sortaient avec des filles mais ça ne durait jamais très longtemps. Il trouvait toujours un prétexte pour rejeter la faute à sa copine, lorsqu'elle le quittait. Mais dans l'ensemble, ce n'était quand même pas un méchant garçon. Il restait attentif et ne se vantait jamais. Nos chemins vers la maison se croisaient, et parfois, je le voyais marcher, les mains dans les poches, regardant par terre, sans doute dans ses pensées. Alors, je me demandais à quoi est-ce qu'il pouvait penser. Peut-être à ses projets d'avenir, à sa femme idéale... Il ne tardera malheureusement pas à la trouver, pour le meilleur et pour le pire...

   On a changé de classe et on s'est un peu éloignés l'un de l'autre. Mais je continuais occasionnellement de le croiser, et on s'adressait rien de plus qu'un « salut ! ». Lui fréquentait quelques jeunes à la fois bourgeois et racailles, avec lesquels je le voyais souvent rigoler autour d'une cigarette. Je ne saurai pas dire si c'était de bonnes fréquentations pour lui, mais ce que je peux dire en certitude, c'est que ce n'était pas des types d'une grande classe. Au bout d'un moment, je ne l'ai plus vu avec eux et j'ai beaucoup moins eu de nouvelles de lui.

   En terminale, on est revenus dans la même classe. J'ai retrouvé Thomas comme il était avant, avec les mêmes qualités et les mêmes défauts. Il y avait des fois où il disait vraiment n'importe quoi, et d'autres où il parlait avec une très grande délicatesse et disait des choses tout simplement merveilleuses.
Mais un jour, il m'a trahi. Il m'a humilié en plein cours en se moquant de moi à l'aide de sous-entendus très désagréables. Alors, j'ai décidé de l'éviter, de ne plus le voir. Cet évènement a fait grandir sa notoriété et sa popularité au sein de la classe. Toutes les filles l'admiraient et il a commencé à sortir avec un grand nombre d'entre elles, sans se remettre en question. J'observai tout ce qui lui arrivait sans jalousie, en me disant que chacun avait le droit d'avoir la vie qu'il souhaitait, et que la mienne était très correcte.

   C'est là que les évènements terribles pour lui ont commencés. Les filles se sont vite rendu compte de ses infidélités et elles se sont toutes mises à le quitter, une par une, comme des dominos. Elles en ont profité pour salir sa réputation en public, en exprimant de manière très explicite tout ce qui s'est passé. Je ne dis pas que Thomas n'a rien fait de mal, mais je pense qu'il ne méritait pas ça. Toute la haine s'est déversée sur lui. Il est devenu un homme meurtri et s'est mis à sécher les cours. Il n'allait pas bien. Ça se voyait.

   En décembre, il est venu me voir en me disant que depuis que tout lui est tombé dessus, il pense que la seule personne sur qui il pouvait compter était moi, et qu'il avait besoin de se confier. Je ne savais pas tellement quoi lui répondre mais j'ai acquiescé. Il m'a dit qu'il était amoureux. D'une Célestine. Célestine... Un nom si ensanglanté dans ma mémoire, si meurtri par le temps... Le dernier prénom féminin qu'il a dû prononcer, ce pauvre Thomas...

   Quelques jours plus tard, il m'a dit qu'ils sortaient ensemble. Je ne croyais pas tellement en leur couple. Je pensais que ce serait un de ces couples qui se séparent au bout de quelques semaines, trouvant chacun de fausses excuses pour camoufler leur lassitude commune. Mais ce couple dura beaucoup plus longtemps que je ne le pensais.

   Je les voyais les deux entrelacés, endormis sur la pelouse du jardin par lequel je passais pour rentrer chez moi, d'autres fois main dans la main... Contrairement à ce que j'aurais pu penser, Thomas avait vraiment l'air de l'aimer.

   Célestine était une fille aux yeux bleus, pas très jolie, assez mince, avec des cheveux blonds. Elle avait un regard profond, assez intimidant. C'était peut-être ce qu'il aimait chez elle. J'ai commencé à ne plus les voir dans l'herbe, mais cachés, dans des buissons, les yeux entrouverts. On aurait dit des clochards. C'est là que j'ai commencé à m'inquiéter pour eux. Ils paraissaient presque drogués. Mais c'était peut-être ça, l'amour.

   Les semaines ont passés. Je n'ai plus beaucoup eu de nouvelles d'eux, si ce n'est qu'ils sont partis au ski ensemble et que Thomas s'est cassés une jambe en faisant du hors-piste avec elle. Et je crois que c'est ce qui a fait déborder l'eau du vase et a enclenché les disputes. Thomas m'a dit que tout allait bien et que ça allait s'arranger, mais je voyais que non. Leurs disputes étaient très intenses, très souvent accompagnées d'insultes extrêmement violentes. Mais ils ont fini quand même par se réconcilier. Dès lors, je ne les ai plus croisés. Aussi bien que j'ai commencé à me demander si cet argument n'en était pas un simplement pour cacher leur séparation. Mais Thomas a continué de m'assurer qu'ils étaient encore ensemble. Et il avait raison.

   Mais un jour, elle a pensé avoir découvert qu'il la trompait. Moi-même, je n'ai jamais su si c'était vrai ou non. Peut-être, peut-être pas. On ne saura jamais. En tout cas, Célestine l'a immédiatement quitté et Thomas a été réellement dévasté. Je ne l'ai jamais vu dans un état pareil. Il l'a été encore plus lorsqu'il a vu que Célestine s'était trouvé un nouveau petit ami.

   Thomas n'a cependant pas tout de suite baissé les bras et il a suivi le nouveau couple. Mais le petit copain de Célestine s'est retourné et l'a aperçu. Il est alors allé vers lui et ils se sont battus sous les yeux sereins de sa copine. Thomas s'est fait tabassé et s'est fait mettre hors de combat en une trentaine de secondes. Et les deux amoureux sont repartis, heureux, sans dire un mot. Thomas est rentré meurtri, pleurant comme un gamin. Il savait très bien qu'il ne pourrait rien arranger mais il a tenté une dernière fois de la reconquérir.

   Il est allé la rattraper après les cours, et par chance, elle était seule. Mais cela n'aurait rien changé, si son copain était là, il l'aurait fait quand même. Il s'est mis à lui demander si elle avait fait le bon choix avec ce gars, et elle lui a répété que c'était fini entre eux, qu'il se fatiguait pour rien. Mais il a continué à parler, incohérent, et puis elle a fini par rentrer chez elle sans dire un mot. Il est reparti les larmes aux yeux.

   La suite est restée très floue dans mon esprit et c'est nerveusement que je vais la raconter. Le reste des évènements est tellement écœurant et macabre que mon esprit le perçoit dénudé d'une quelconque émotion.

   Thomas l'a suivie à la fin de la journée. J'ai suivi toute la scène de l'autre côté du trottoir. Il lui a lancé un « Célestine ! », elle s'est retournée et... Ô mon Dieu ! Quelle horreur ! Rien que le souvenir de cette lame affreusement pointue, tendue vers le ciel avant de retomber avec violence sur la poitrine de Célestine. Il l'avait tuée... Oui ! Il l'avait poignardée, par amour, par jalousie, par honte, par peur... Le reste a disparu de ma mémoire. Rien que le souvenir de cette effusion de sang sur la chaussée, de Thomas répétant « Non, non ! » avant de prendre la fuite... Je me suis accroupi et j'ai fermé les yeux, niant ce qui venait de se passer.

   Les évènements qui ont suivi ne sont parvenus à ma connaissance qu'à travers divers articles dans les journaux. Thomas a couru à pleines jambes, a volé une voiture et a pris la première route qui s'est présentée à lui. Il a foncé, jusqu'à atteindre la campagne. Il s'est arrêté dans un petit village d'Alsace, au bord d'une vaste plaine ensoleillée. Il a trouvé une corde et s'est est pendu à un chêne. Avant de mourir, il s'est écrit quatre mots sur le front, au marqueur, à l'aide d'un miroir retrouvé à ses pieds, pour qu'ils ne s'effacent jamais :


                                                                      J'étais fou d'elle...

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