Chapitre 1 - Alessia

387 28 4
                                    

Pour la dixième fois de la matinée, mon téléphone vibre au fond de ma poche. Je l'ignore tant bien que mal et continue à scanner les articles du client désagréable qui me regarde comme si j'étais un vulgaire chewing-gum sur sa chaussure. 

L'heure de ma pause arrive enfin. Je me dirige dans le local qui nous sert de salle de repos. Ma salle de bain est plus grande mais on s'habitue. On s'habitue à tout à vrai dire... Je déverrouille mon téléphone qui m'indique 10 appels en absence du même numéro inconnu et aucun message. C'est étrange. Je n'ai pas d'ami, pas de petit ami et plus vraiment de famille. Pourquoi chercherait on à m'appeler avec autant d'insistance? Et surtout, pourquoi ne pas laisser de message si c'est si important? 

Je sursaute lorsqu'il se remet à vibrer au creux de ma main. Mon pouce en suspension au dessus de l'icône rouge, j'hésite. Ma lèvre inférieure entre mes dents, je décroche les mains moites et la respiration saccadée.

- Allo?, ma voix n'est qu'un murmure.

- Alessia Russo?, demande une voix grave et brute.

- Euh, oui c'est moi. Qui êtes vous? 

- Votre père est mourant, me répond l'homme brusquement. Il ne lui reste que quelques jours à vivre. Il serait peut être temps de mettre vos histoires de côtés.

- Mais ...

Je n'ai pas le temps de continuer ma phrase qu'il a raccroché. Comment peut on annoncer une chose pareil avec autant de flegme et si peu d'empathie? Une sensation désagréable d'oppression au niveau de la poitrine me saisie. Je tente de la chasser en prenant de grandes inspirations, en vain. Je me lève et fais les cents pas dans l'espace restreint autour de moi. J'ai l'impression d'être l'un de ces poissons rouges condamnés à vivre dans un bocal. Je m'arrête brusquement et fléchis les genoux. Ma main vient frotter mon visage avant de finir dans mes cheveux.

La porte s'ouvre sur ma responsable qui me toise.

- Mais enfin, que fais tu encore ici? Tu devrais être en caisse depuis 3 minutes déjà!

- Désolée, je ... je viens d'apprendre que mon père est malade.

- Ta vie privée ne me regarde pas, retourne à ton poste.

Je me redresse et pour la première fois depuis longtemps, je lève le menton. Surprise par ma posture, ses yeux s'écarquillent alors que je lui réponds :

- Non. Mon père est malade, je dois partir.

Je commence à enfiler ma veste et attrape mon sac à main, lorsqu'elle se racle la gorge.

- Ce n'est pas vraiment une façon de demander des congés.

- Ce n'est pas le cas. Je démissionne. 

Ce n'est qu'une fois dans ma voiture que je m'autorise à souffler. Mon front vient rencontrer le cuir de mon volant avant que mes larmes ne dévalent mes joues. Mon père est bien la seule personne au monde à m'avoir soutenu et aimer. Pourtant, je l'ai abandonné il y a près de 7 ans. 7 longues années, pas un message pas un appel. 

Que dois je faire? 

Revenir comme une fleur, au risque de devoir la supporter à nouveau. J'ai réussi à la tenir éloigner de ma vie, mais si je reviens dans la maison de notre enfance, il y a toute les chances pour qu'elle y soit. Et puis il y aura ma mère, est ce que je veux la revoir elle aussi? Non, bien sur que non. Mes mains tremblent rien que d'y penser. 

Je pourrais reprendre ma vie, faire comme si je n'avais jamais reçu cet appel après tout. Mais est ce que je veux laisser mon père mourir seul, en pensant que je le déteste comme elles ? Evidemment que non. 

Je soupire, ma décision a été prise à le seconde où cet homme sans cœur a dit "mourant". Cette voix, rien que d'y repenser je grince des dents. Cette intonation à la fois calme et brute, ces allusions quand à mes décisions, mon histoire, notre histoire. Son jugement m'horripile. A moins que je ne cherche qu'une excuse pour le détester lui plutôt que moi. Après tout, c'est moi qui ai décidé de partir, c'est moi qui ai décidé de ne jamais décrocher mon téléphone lorsque le numéro de Papa s'affichait les premiers mois. Tout ça, c'est moi qui l'ai décidé, pas lui. 

Mes souvenirs affluent et m'accablent un peu plus à chaque image. Les Noëls en famille, les anniversaires, les sorties en forêt du weekend, les voitures. Tout ces moments partagés me reviennent en mémoire avec violence. Son sourire charmeur, ses yeux aussi noirs que la nuit, son rire, sa douceur. A défaut d'avoir eue une mère tendre et aimante, j'ai eue un père idéal. Il était doux, patient et à l'écoute. Pourtant il n'a jamais vu mon mal être, il n'a jamais vu qu'elles me détruisaient à petits feux, qu'elles m'enterraient un peu plus à chaque mots, chaque gestes. 

Non, je dois arrêter ça. Il est temps d'avancer et d'arrêter de ressasser le passé. Je suis devenue une femme forte et indépendante, je peux y arriver. Pfff! Tu parles! Je ne me lie d'amitié avec personne, je n'ai pas eue de petits amis depuis le lycée, à chaque fois qu'on tente d'entrée dans ma vie, je regarde à chaque coin de rue si elle ne guette pas ma déchéance. Forte et indépendante je disais?!

Lorsque j'entre dans mon appartement, je regarde autour de moi. Je devrais être triste de le quitter ou du moins ressentir un léger pincement au cœur. Je cherche, un souvenir, un moment, une période, une journée, rien. Je n'ai aucun bon souvenir ici, je n'en n'ai d'ailleurs pas de mauvais non plus.

Ma vie est lisse, monotone et millimétrée à la seconde près. Quelques collègues ont essayé, mais ce n'est jamais allé plus loin qu'un verre, une fois. Une seule et unique fois, parce que je suis si distante avec les gens qu'ils ne réitèrent jamais leurs invitations. Pour les hommes, c'est la même chose ... Je suis peut être même encore plus froide avec eux. Alors personne ne se risque à m'approcher. Parfois la monotonie, la solitude, l'ennui, valent mieux que le stress, la peur, l'abandon et la douleur. Parce que toutes les relations humaines se terminent comme ça, en tout cas les miennes. Je les laisse entrer dans ma vie, je stresse, j'ai peur, ils partent et je souffre. 

Et puis, je ne suis pas vraiment seule. J'ai mes romans, qui m'accompagnent partout. Ils m'aident à rêver, m'évader. Je vis à travers eux et me plonge corps et âmes dans leur univers qui me happe et me laisse rêveuse. Je sais que c'est ridicule mais moi ils m'aident à avancer. 

Je prépare mes affaires rapidement. Je ne suis pas une reine de mode, ma garde robe rentre presque intégralement dans ma valise. Moins d'une heure plus tard, je suis sur la route. J'ai 12 heures de route, 12 heures pour réfléchir à ce que je vais lui dire, à ce que je vais faire si je la vois. 12 heures, c'est à la fois très long et terriblement court. J'arrive devant la maison de mon enfance, 24 heures à peine après cet appel. 

Elle n'a pas changé. Imposante et pourtant à sa place au milieu de cette nature sauvage. La végétation borde toujours le terrain qui a accueilli mes premiers pas, mes premières chutes. La façade en bois se fond dans le décor boisé des environs. Sa voiture de collection n'est pas dehors, il doit être terriblement mal. 

Je suis épuisée, je n'ai presque pas dormi malgré mes nombreux arrêts. J'avais, au fond de moi, peur d'arriver trop tard. Pourtant, je suis là depuis une vingtaine de minutes et je n'arrive toujours pas à sortir de mon véhicule. Un mouvement près de la porte d'entrée me fait relever la tête. 

Un homme sort de la maison et se stoppe en voyant ma voiture. Il fronce les sourcils une seconde avant de reprendre un visage neutre. C'est surement lui qui m'a appelé, son infirmier. D'ailleurs, il n'a pas vraiment l'allure d'un infirmier. Il porte une chemise noire sur un jean's brut. Un bonnet enfoncé sur la tête malgré les températures douces. A quoi je m'attendais? Une blouse blanche et un stéthoscope? Peut être bien, un sourire en coin étire mes lèvres. Je décide de sortir et d'aller à sa rencontre. Il se dirige vers son pick up, garé à côté de ma citadine.

Je m'approche et me place sur son chemin, la main tendue, je lui souris.

- Bonjour, je suis ...

Je ne finis pas ma phrase, parce que sans un regard, sans un mot, il me contourne et monte dans son véhicule qu'il démarre rapidement. Je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi flegmatique. Un visage, certes agréable à regarder, mais terriblement froid, calme et sans émotion, aucune. Je reste bouche bée face à cette rencontre.

A LA VIE A LA MORTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant