chapitre 1

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Caleb

Chaleur.

C'est le premier mot qui me vient à l'esprit, alors qu'il n'est que cinq heures du matin. Le soleil, bien qu'il vienne seulement de se lever, darde déjà ses rayons brûlants sur l'horizon rougeâtre, derrière les montagnes brunes qui s'étendent au loin. Il a beau être tôt, on sent, dès les premières minutes de luminosité, que la journée sera ardente.

C'est aussi pour cela qu'on nous lève d'aussi bonne heure. Nous, les prisonniers sous tentes d'Estrella. Eux, les matons qui, à force d'ordres beuglés dans tout le camp, parviennent à réveiller tout le monde en moins de trois minutes.

— Debout, bande de rebus de la société !

Il faut dire qu'ici, il n'est pas bon contester les ordres. Et lambiner au lit est définitivement l'une des choses les plus proscrites par le règlement. Ça, les bagarres, la détention de tabac, de sucre, de poivre et de sel, les trafics en tous genres, le vol de nourriture et les rebellions. Dans le désordre, d'ailleurs, ou pas. Pas de hiérarchie dans les conneries, tout est passible de la même peine : l'isolement pendant un mois ou pire, le prolongement de la peine de départ.

Excellente raison pour mes vingt camarades et moi de ne pas perdre de temps et de sauter au bas de notre paillasse. Un matelas aussi fin qu'une feuille de cigarette et un drap, qu'on nous donne à notre arrivée, constituent notre plumard. À part pour l'épaisseur du couchage, bien insuffisant pour soutenir ma grande carcasse de presque deux mètres pour cent-dix kilos, ça ne me dérangerait pas : il fait tellement chaud, dans ce désert, que le bout de tissu est largement suffisant, même quand la nuit est tombée et que la tente est fermée. Parfois, c'est même si étouffant que je m'en passe.

J'attrape mon pantalon à grosses rayures noires, enfile le t-shirt assorti et jette un coup d'œil à mon entourage. Si le lit au-dessus du mien est vide, pour l'instant, je ne me leurre pas, il sera bien vite occupé. Les paillasses ne restent jamais longtemps vides. À Phoenix, les prisons sont en surcapacité depuis un bail. Et la prison d'Estrella est justement là pour palier cette surpopulation carcérale. C'est ici que le sheriff a eu l'idée brillante d'ajouter des tentes au bâtiment principal : installées en plein désert et entourées de barbelés, elles accueillent le surplus de condamnés du comté de Maricopa, avec l'avantage indéniable de pouvoir se multiplier à l'infini du désert de Sonora.

— Bien dormi ? me demande Caines, mon voisin de gauche.

Assis sur le bord de son sommier en métal, il m'observe avec un sourire en coin que je décide d'ignorer.

Je soupire, en passant une main sur ma nuque raidie par l'inconfort de l'installation. Mais c'est sans importance. Il y a bien pire, en ce lieu.

— Comme un bébé, réponds-je en serrant les dents.

Ça le fait ricaner, mais ce n'est pas entièrement faux, en plus : vu les journées que je me coltine, je ne fais pas long feu, le soir. Ce n'est pas plus mal, parce que mon estomac m'empêcherait de pioncer, si je n'étais pas aussi bien plongé dans le sommeil. J'ai faim en permanence.

— Et si on allait profiter des joies d'un petit-déjeuner de roi ?

La proposition de Caines, bien que sarcastique, ne me fait pas rire : ça va être encore une fois service minimal et rations réduites, la faute aux restrictions budgétaires. À Estrella, c'est deux repas par jour et basta. Et c'est long, d'attendre celui du soir, quand on bouffe à cinq heures. Les quantités sont limitées, les portions infinitésimales, les produits périmés le plus souvent. On essaie de ne pas faire gaffe aux dates dépassées sur les emballages, l'aspect douteux des aliments et le goût des plats. Sinon, on ne mangerait plus rien.

In Memory [sous contrat d'édition Plumes du Web ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant