Caleb
— T'es sûr que tu veux encore rempiler cette semaine ?
— Certain.
— T'es taré, conclut Caines, en secouant la tête. Ils ont prévu une hausse des températures. Ça va cogner sec, au bord des routes !
Je ne le sais que trop. Mais rien ne pourra me faire changer d'avis. Rien.
Il ne comprend pas, mais quelque part, c'est normal. Il n'a pas à essayer de faire face en permanence à un bordel sans nom sous son crâne, comme moi. Mon cerveau est un fouillis monstre, ma mémoire tel du gruyère. Et ma conscience me tance, en permanence, pour la merde que j'ai faite dans cette bijouterie.
La peur dans les yeux de la petite vendeuse que j'ai bâillonnée et attachée, elle me hante la nuit. Pourtant, je ne m'en rappelle pas directement. Je l'ai juste vue sur les écrans, mais de façon si intense, si réelle, que j'en suis chamboulé encore une fois. Alors, pour oublier tout ça, quoi de mieux que de tomber dans un état semi-comateux, que seule la fatigue extrême permet ? Oui, je m'assomme au travail, pour que les fantômes d'un passé que j'ai oublié ne viennent effrayer mes nuits.
J'attrape une paire de chaussettes propres, les mets en essayant d'oublier leur couleur douteuse, puis enfile mes chaussures sans lacets. Dans un dernier réflexe, je visse une casquette sur ma tête et sors de la tente. Le couvre-chef est siglée de la prison, mais c'est égal : de toute façon, avec notre costume de bagnards, impossible de passer inaperçu sur nos chantiers. Les regards des automobilistes, on les ignore. Souvent curieux, parfois condescendants, rarement positifs, ils sont à eux seuls le résumé d'une pensée unique, celle de ceux que la justice n'a pas encore atteints. C'est aussi la peur, qui leur fait détourner les iris. Celle que nous inspirons, avec nos mines patibulaires et notre allure négligée. Celle, plus insidieuse, que ça soit contagieux, comme s'ils redoutaient d'être arrêtés à leur tour.
Dans la cour, le bus est déjà là. Mes collègues du jour aussi. Je remarque quelques changements, par rapport à l'équipe habituelle, mais le meneur, toujours le même, n'attend que le feu vert pour se mettre à chanter. Sans faire d'éclat, je me laisse enchaîner et patiente à mon tour dans un silence de mort.
— Messieurs ! hurle soudain le gardien qui va nous accompagner. Changement de programme. Pas de remise en état des routes, aujourd'hui.
Intrigué, je tends l'oreille, en le dévisageant. Il a l'air de celui qui sait, mais qui aime maintenir le suspense. Et j'ai horreur de ça. Comme si on n'avait que ça à faire, dans ce trou. Comme si tout ça était un jeu. Qu'il est con. C'est son boulot. Et nous, notre peine. Qu'il urge et qu'on en finisse !
— Paraît qu'il fait trop chaud, pour bosser en plein cagnard, ricane-t-il. Mouais. Vous avez de la chance, le sheriff a décidé de vous épargner, aujourd'hui.
Je sens les gars se tendre, à l'idée qu'on n'aille nulle part. Des sourires se dessinent, vite douchés néanmoins quand le gardien précise :
— On vous emmène au cimetière. Y a une tonne de trucs à remettre en état, là-bas aussi. L'avantage, c'est qu'il y a des arbres, pour vous abriter du soleil : c'est pas gentil, ça, franchement ?
Les gars grimacent, déçus. Moi ? Je pousse un soupir de soulagement. Je deviens fou, lorsque je reste dans l'enceinte de la prison. Et surtout, j'ai besoin de m'abrutir pour ne plus penser. Heureusement, le top départ est donné et c'est en rythme que nous montons dans le bus.
Saül est devant son volant, comme toujours. Couvert lui aussi d'une casquette, laissant augurer qu'il compte nous accompagner sur place, il nous salue un par un, alors que nous prenons place. Le gardien, lui, s'installe à l'avant, à droite, tandis que nous nous asseyons sur le côté gauche.
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In Memory [sous contrat d'édition Plumes du Web ]
RomanceEstrella. Une des prisons les plus dures des États-Unis. C'est là que Caleb est détenu, depuis trois mois. Le motif ? Un vol à main armée, dans une bijouterie. Seul problème : il a tout oublié de cette soirée et surtout des raisons qui l'ont poussé...