Chapitre 2

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Caleb

J'ai mal dormi.

Pourtant, j'étais crevé. Peut-être trop, tout simplement.

À force de piocher dans mes réserves, mon corps est entré dans un état de stress permanent, et mon sommeil s'en ressent. Comment je le sais ? C'est le genre de truc que tu apprends sur le tas, quand tu t'entretiens un peu. Le style d'information que tu chopes à la salle de boxe, comme celle dans laquelle je me défoule le week-end. Ou tout du moins me défoulais, dans ma vie normale, avant d'atterrir dans ce trou.

Je me lève difficilement, en passant une main sur ma nuque raide, essayant d'oublier les réminiscences de mon existence passée. Mécano, dans un garage de Phoenix. Oh, pas le genre d'établissement huppé pour berlines de sport et marques de luxe. Non, un petit bouge sans prétention, où je répare, dix heures par jour, des bagnoles sans valeur et souvent largement dépassées par la technologie moderne. Cependant, dans ce coin de la ville, les clients n'ont pas les moyens de changer de voiture et c'est souvent à moi qu'on demande de faire des miracles sur la mécanique en fin de vie.

Maintenant que je vis en enfer, je me rends compte que finalement, le quartier malfamé où je crèche n'est peut-être pas si mal. Pas que je m'en sois jamais plaint. L'appartement que mon patron me loue, au-dessus de l'atelier, me convient parfaitement. Petit, presque insalubre, mal insonorisé et mal isolé, il ferait fuir n'importe quel agent immobilier. Cependant, je m'en satisfais. Le loyer est peu élevé et je réussis à le payer sans avoir à vendre un rein. C'est déjà énorme, de nos jours.

J'ai peu de besoins.

J'en avais encore trop par rapport à ici.

— 911 ! hurle le maton. Bouge !

Il ne m'en faut pas plus pour rejoindre l'extérieur et prendre place dans la file d'attente du petit-déjeuner. Les autres ont été plus prompts à se mettre debout et je me retrouve en queue de peloton. Pas grave, les brumes du sommeil qui s'est décidé à m'engloutir, trop tard dans la nuit, m'empêchent de sentir la faim qui tenaille mon ventre. Il tiraillait déjà hier soir, quand je me suis couché. La soupe n'a pas tenu longtemps dans mon estomac, bien insuffisante pour ma carcasse trop gourmande en énergie.

Caines m'adresse un mouvement de menton, que j'interprète comme une excuse de se retrouver devant. Ou alors ma nargue-t-il ? Honnêtement je m'en fous. Mes yeux s'égarent vers les gars qui patientent, la mine patibulaire et les yeux déjà plein d'une lassitude qui ne fera que se renforcer dans la journée, pour finir en désespérance au moment du coucher.

Le temps que j'avale mon pain rond, curieusement frais, aujourd'hui, et la part de fromage pas trop passé, et je me présente aux douches. Le dimanche est sacré, ici, puisque c'est le jour de décrassage pour tout le monde. Les économies ne se font pas seulement sur la bouffe, mais sur l'eau.

Si j'ai tiqué, la première fois que j'ai découvert les installations sanitaires en plein air, j'ai eu le temps de revoir ma position sur le sujet. Certes, il faut se déshabiller à la vue de tous et se balader la bite à l'air. Mais finalement, c'est plutôt un avantage. D'une, des chauffe-eau solaires alimentent les tuyaux, à volonté. Le soleil, c'est pas ce qui manque, ici, et je doute que le camp ait connu un seul jour avec de l'eau froide. Depuis trois mois, ça ne m'est jamais arrivé. De deux, impossible de se faire agresser sexuellement dans des sanitaires au grand air. Une bonne vingtaine de douches s'alignent contre le mur Sud, sans aucune intimité.

Avec ma carrure, je doute que quelqu'un essaie de s'attaquer à moi un jour, même dans les salles de bain intérieures. Mais au moins, ici, personne ne risque rien. Pas même Caines, son mètre soixante et ses cinquante kilos tout mouillé. Même s'il est moche et vieux, d'ailleurs. Certains mecs sont tellement en manque de sexe qu'ils sont capables de se taper n'importe quoi. Une chose est certaine, ce ne sera pas moi. Même diminué par la restriction alimentaire, il me reste assez de muscles pour rétamer celui qui tentera le coup.

In Memory [sous contrat d'édition Plumes du Web ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant