Chapitre 00

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— Aaaaaaaaaaaaaah, hurlai-je à m'en décrocher la mâchoire, couverte de sueur.

La douleur vive et acérée me tordit les tripes, les muscles du ventre et du dos alors que, la poitrine gonflant dans un rythme irrégulier, je tentais péniblement de reprendre mon souffle. Mes cheveux mouillés me collaient sur le crâne. Les grosses gouttes de transpiration coulaient sur ma peau. J'étouffais dans cette pièce qui me semblait soudainement trop petite et trop chaude.

Les jambes écartées, la vue embrouillée, je me griffai les cuisses pour tenir bon face à ma souffrance. Une contraction me prit avec violence ! Tandis que mon corps me poussait à me tordre, à rouler sur le lit baigner de sang et d'eau, ma mère me tint contre le matelas. Elle m'ordonna :

— Pousse, Azaëlle !

— J'en peux plus, sanglotai-je, à bout de force.

Je me laissai choir sur le lit tandis que les sorcières entre mes cuisses m'observaient. Mon cœur tambourinait dans mon torse. Ma gorge était en feu à force de m'époumoner, prisonnière des griffes de la souffrance.

— Si tu avais fait le rituel comme toute bonne Mambo qui se respecte, ce ne serait qu'une partie de plaisir, me souffla-t-elle sans scrupule.

Je la regardai, les yeux écarquillés. Je respirai comme un buffle, le cœur tambourinant dans ma poitrine. J'avais la bouche sèche, la gorge serrée à force de crier. Je tremblais. Je sentais mes chairs qui s'ouvraient et ce corps qui sortait de mes entrailles, les déchirant au passage.

— Alors tu me pousses ce bébé ou je t'ouvre moi-même le ventre, finit-elle contre mon oreille.

Je pris sur moi, et dans un cri perçant, je fis ce qu'elle me demanda. Elle serait bien capable d'une telle barbarie, cette vieille peau. Mère ne perdait jamais de vue son objectif : faire perdurer notre puissante lignée. Que je donne naissance à sa petite-fille, la future Mambo, et enfin la cinquième Grande Prêtresse Mehde du Cercle d'affilée. Qui disait Grande Prêtresse disait plus de puissance, de magie, de fidèles qui marchaient dans la lwa... et que voulaient les esprits que nous servions : du pouvoir, du sang, de la chair. À perte de vue.

Elle avait failli à sa mission avec moi. À présent que je mettais au monde une fille, une sorcière, elle voyait là une chance de réparer ses erreurs commises.

J'attrapai ma mère par le bras en reprenant ma respiration, étourdie. J'avais beau souffrir le martyr, j'avais la tête sur les épaules et moi non plus, je ne perdais pas de vue mes objectifs. Je plongeai mon regard dans le sien, plus sérieuse que jamais.

— Elle est à moi, chuchotai-je. Je vais pas te la donner.

Je ne souffrais pas pour son bon plaisir. Ce bébé grandira à nos côtés, son père et moi. Je serrai les dents en grognant de toutes mes forces sous l'assaut de la crampe.

— Gâche ta vie si tu veux... mais, pas celle de cette enfant, Azaëlle. Je ferai en sorte qu'elle réussisse là où tu n'as pas eu le courage de t'aventurer.

Je grognai comme un buffle, les narines dilatées, les dents enfoncées dans ma lèvre déjà bien meurtries. Ruisselante de transpiration, je poussai un hurlement qui venait du fond des tripes. Mon sang dans mes veines me brûlait, à la fois de rage et de douleur.

— On voit la tête !

J'enfonçai mes ongles dans la chair maigre de la marâtre sans écouter les autres femmes de la pièce. Elle n'avait que de la peau sur les os. Plus ça allait, plus elle ressemblait à un squelette. Et pourtant, cette vieille bique acariâtre aussi effrayante qu'une momie ne crevait pas. Je pouvais bien l'étouffer moi-même avec ses dreadlocks blanchis et plein de babioles. Ce n'était pas l'occasion qui m'avait manqué. Mais, après... toute cette énergie pour que je prenne sa place qui ne m'intéressait pas ?

Mambo Rouge - T01Où les histoires vivent. Découvrez maintenant