La dessinatrice de rêve (Drame)

5 1 0
                                    

- Un croissant s'il vous plaît !

Un souvenir de ma mère et moi plus jeune me revient à l'esprit. Chaque matin, nous avions l'habitude d'aller dans une petite pâtisserie à Montréal, avant qu'elle ne me conduise à l'école. Elle prenait toujours un croissant et un café, je prenais un croissant et un chocolat chaud.

La serveuse me tend mon croissant. Je m'assois au fond du café, là où je peux observer les gens, entendre leurs conversations, sentir l'odeur du café et des pâtisseries fraîches et écouter la musique douce qui tourne en boucle. J'ai toujours aimé ce genre d'endroits quand ma mère m'y emmenait. Malheureusement, elle est décédée il y a quelques années. Depuis, je vis seule dans un petit appartement de banlieue et j'occupe un travail à temps partiel au Subway, tout en étudiant la littérature à l'UQAM.

J'ouvre mon cahier de dessin et me mets à dessiner une planche de BD. Mon trip à moi, ce sont les BD. J'adore ça depuis que je suis petite, autant les écrire que les illustrer. J'ai toujours rêvé d'en publier une, mais personne n'a jamais cru en moi, sauf ma mère. Je lui racontais tous mes projets. J'avais un cahier dans lequel j'écrivais toujours mes idées quand j'étais plus petite. Je fais toujours la même chose.

À l'université, je m'en sors. Je fais aussi partie du journal étudiant. Je dois remettre ma planche de BD ce soir, afin qu'elle paraisse dans le journal de cette semaine. Je ne suis jamais très attentive en classe les jours de remise de travail pour le journal.

Je finis ma planche de et vais la photocopier. Il est 15 h 34. Je m'en vais dans les locaux du journal afin de montrer mon travail au rédacteur en chef. Je l'aperçois dehors en train de boire un café.

- Salut, est-ce que t'as deux minutes ? J'ai fini ma planche de BD pour le journal, comme tu m'avais dit que cette fois, je pourrais en publier une à la place d'un article.

- Ouais, ouais, bien sûr ! Montre-moi ça.

Je lui passe ma planche de BD, prenant soin de la regarder une dernière fois avant de la lui remettre. Je l'observe quand il la lit. Il a l'air surpris. Ou bien content ? Ou bien troublé ? Ou bien constipé ? Je n'en sais rien. Il n'est pas très expressif, en fait.

- C'est de la marde.

- Pardon ?

Je ne comprends pas ce qui se passe. Il parle bien de ma planche de BD ? Celle qu'il vient de lire sans rien dire ?

- Tu as bien entendu. Le sujet est totalement dérisoire, les images sont bâclées, combien de temps as-tu passé dessus ?

- Euh... Eh bien... Quatre ou cinq heures, je dirais.

Je suis sous le choc et je ne comprends pas ce qu'il se passe. Il m'avait dit que si je dessinais une planche de BD, elle serait publiée. À chaque fois qu'il me voyait en dessiner, il les trouvait intéressantes. Lui, par contre, n'a pas l'air d'être gêné de ce qu'il vient de me dire.

- Eh bien, on dirait que ce n'est pas assez.

- Je ne comprends pas. À chaque fois, tu me disais que je dessinais bien et que mes planches avaient l'air intéressantes. Devrais-je rendre une autre planche pour le journal de cette semaine ? Je pourrais travailler sur celle-ci pour le prochain journal.

- Non. Tu ne seras pas publiée cette semaine, je suis désolé. Espérons que tu en fasses une meilleure pour la semaine prochaine ! Dit-il en ricanant. Ou bien, tu devras écrire des articles à nouveau. Bon, j'ai encore du travail, donc à plus !

Il jette la photocopie de ma planche dans la poubelle juste à côté de lui. Il la jette et il part. Il part sans se retourner, sans être désolé, sans rien. S'est-t'il encore disputé avec sa copine ce matin ?

Je me sens mal, je me sens vide, j'ai envie de pleurer, de crier, de m'enfuir. J'ai l'impression d'être remplie de honte et que tout le monde me regarde, comme un enfant qui vient de se faire engueuler par sa mère au milieu d'une fête d'anniversaire.

Je cours vers les toilettes les plus proches. Je pousse la porte et m'enferme dans la toilette la plus loin de l'entrée. Je pose mes affaires au sol, même si c'est probablement le sol le moins propre de tout le campus, je ne suis plus à ça près. Des larmes commencent à couler le long de mes joues. Je me sens idiote. Je ne veux plus sortir d'ici. J'ai honte. Honte de m'être fait refuser ma planche de BD. J'aimerais tellement que ma mère soit là pour me dire que ça va aller.

Après une heure ou deux, je sors des toilettes. Je lève la tête. Les babillards devants moi sont remplis. Ils sont remplis... Ils sont remplis de ma planche. Ma planche de BD est partout sur ces babillards. Est-ce que c'est pour me mettre la honte ? Comment est-ce possible ? Il l'avait pourtant jetée à la poubelle.

Je m'avance peu à peu, m'approchant de plus en plus du babillard le plus proche de moi. Tout un troupeau d'élèves était là, devant les babillards, à regarder, lire et commenter ma planche. Savent-ils que c'est moi qui l'aie faite ? « Wow ! La personne qui a écrit ça est définitivement... talentueuse, elle devrait publier ça dans le journal de l'université ! » Dit un élève, tenant une des photocopies dans ses mains.

Ma honte s'en va. Je souris, je me dis que ça va aller, mais je me demande comment cela a fini sur le mur. Ça doit être un signe de ma mère. Un étudiant a dû attrapé ma feuille avant qu'elle ne tombe dans la poubelle.

De plus en plus d'étudiants s'attroupent autour des babillards. Je me sens choyée. Des larmes me montent aux yeux, mais cette fois, ce n'est pas pour la même raison.

Au bout du couloir, une silhouette familière m'apparaît. C'est Sébastien, le rédacteur en chef.

- Hey ! Hey ! Attends, ne t'en vas pas !

Je fais mine de ne pas l'entendre, tout en essayant de partir en me faufilant à travers tous les étudiants attroupés autour des babillards. S'est-il réconcilier avec sa copine ?

- Ta planche va paraître dans le journal.

- Je ne veux pas qu'elle y paraisse. Tu m'as donné ma chance et j'ai compris que je ne méritais pas de paraître dans ton journal. Je n'ai plus envie d'y paraître. Je me retire du journal.

Les étudiants se tournent vers nous en écoutant notre engueulade. Des murmures se propagent, devenant de plus en plus forts, mais je n'y prête pas attention. Je me retourne et continue mon chemin m'éloignant des babillards. Les étudiants se reculent afin de me laisser passer. Sébastien reste planté là, au milieu de tous ces étudiants. Cette fois, c'est lui qui a l'air stupide

Courtes nouvellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant