baji

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en été 2003, on était en cinquième

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en été 2003, on était en cinquième...
on était libres.

Le temps était resté plutôt frais pour une journée d'été, poussant les deux jeunes garçons à détaler dans les rues de la capitale, leurs t-shirts trop larges voletant dans leur dos, comme les capes des héros qu'ils ne seraient jamais.
Leurs rires semblaient se réverbérer sans fin contre les surfaces lisses et claires des vitrines, leur attirant les regards courroucés des adultes qui ne paraissaient guère supporter l'idée que des enfants puissent s'amuser.

Leur allure débraillée et les nombreux pansements qu'ils arboraient sur leurs nez rougis par le vif éclat du soleil contribuaient sûrement à cet intempestif jugement de valeur.

La main de Kazutora chuta brutalement contre le tissu qui enveloppait le torse de son acolyte, tirant dessus comme il l'aurait fait pour la laisse d'un chien. La seule réaction de Keisuke fut de se laisser tomber en arrière, rompant sa course effrénée, les entrainant tous deux dans cette chute, laissant leurs muscles glutéaux entrer en contact avec le sol.
Cette rencontre peu désirée leur attirerait son lot d'hématomes et de douleur mais en l'instant, ils ne s'en préoccupaient nullement, un rire éclatant s'échappant de plus belle de leurs gosiers.

— Je te savais pas si faible, Baji ! le nargua Kazutora, d'ores et déjà sur ses pieds, aussi agile qu'un félin. Allez mec, bouge ou on va encore se faire engueuler par Draken !

En guise de réponse, le pied de Keisuke s'écrasa contre la cheville de son comparse, ni vraiment violemment, ni purement tendrement.

— Je t'écrase quand tu veux mais vas-y, continue de rigoler.

Une moue tordit les lèvres fines de son ami tatoué, lèvres qui s'agitaient un peu trop pour qu'elle ne soient pas en train de couver un nouvel immense éclat de rire.

Alors ils reprirent leur course, leurs baskets martelant de plus belle le sol bétonné, manquant d'heurter des passants et quelques chats, s'en sortant toujours de justesse comme ils le faisaient si bien.
Il leur semblait que des ailes s'étendaient sous leurs bras loin d'être frêles pour leur âge, les emportant dans les airs, leur donnant accès à tout un paradis hors d'atteinte pour le commun des mortels.
Des ailes aussi douces que celles des anges qu'ils auraient pu être dans une autre vie, les laissant flotter dans ces rues encombrées, surplombant cette marre humaine et les déposant légèrement dans leur lieu de rendez-vous.

Leurs quatre autres comparses étaient déjà arrivés, assis par terre, jouant avec un caillou et une bouteille de bière vidée de son contenu, débraillés et l'air de gamins perdus, ce qu'ils étaient tous un peu au fond.
Le duo se jeta sur eux, dans les rires et les cris, ainsi qu'une joie qu'ils ne ressentaient généralement que lorsqu'ils étaient tous rassemblés.

Keisuke observa Kazutora, l'écoutant raconter avec un enthousiasme non feint leur petite incartade avec le gérant de la supérette de chez le fils Hanemiya, ce dernier ayant jugé que ce serait hilarant de dérober un fruit sur l'étal, poussant l'homme dans une course poursuite contre le jeune délinquant.
Course qu'il n'avait bien évidemment aucune chance de remporter, et encore moins lorsque Baji s'en était mêlé, tirant un croche patte peu loyal au vendeur, qui n'avait pas manqué de s'écrouler, tête la première, menton râpant brutalement le sol, le tout dans une floppée de jurons qui n'avait fait que renforcer le rire pratiquement hystérique qui secouait alors les deux amis.

L'astre solaire déclinait peu à peu, emportant avec lui la masse humaine. La nuit apportait une nouvelle population et ses dérives. Une violence au cœur de laquelle ces collégiens s'étaient plongés, y trouvant leur seule planche de salut, leur seul répit face à leurs quotidiens tous gris.
Ce n'était pas tant pour les coups échangés, que Keisuke et ses amis aimaient ce monde parfois cruellement sombre. C'était aussi l'occasion de se retrouver, de dévorer quelques sandwich payés pour pas cher - ou dérobés lorsque la monnaie venait à manquer - rire de choses dont ils ne se souviendraient même pas lors de leur réveil suivant, se poursuivre en riant si fort qu'ils finissaient toujours par s'arrêter, le souffle court.
Passer quelques doux moments dans ce monde auquel ils ne pensaient pas pouvoir appartenir pleinement.

— Ah je vous aime quand même les gars, lâcha tout à coup Keisuke, les surprenant dans ce silence qui s'était installé.

— Pourquoi autant d'émotions d'un coup, t'as cru que c'était déjà la fin du gang ou quoi ? Ressaisis toi mon vieux !

Sur cette énième raillerie du jeune Hanemiya à l'encontre de Baji, le groupe entier partit dans un fou rire, leurs soucis semblant lointains si ce n'était inexistants et bien sûr sans aucune inquiétude envers ce qui composerait le lendemain.

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Vide.
Plus aucune pensée cohérente n'arrivait à se frayer un chemin parmi le maelström qui secouait son cerveau.
Ses mains rendues poisseuses par le fluide qui tâchait peu à peu le sol ne savaient plus si elle devaient s'élever pour attraper Kazutora et lui offrir une étreinte ou simplement rester posées sur le corps de la victime dans une vaine tentative de compresser ce qui ne pouvait l'être.

Panique.
Les mains de Kazutora, tremblantes, ne cessaient de passer et repasser devant son visage étiré en une affreuse grimace, ses lèvres s'agitant dans des paroles que Keisuke ne comprenaient pas.
Ou aurait préféré ne pas comprendre.

— Ne dis pas ça, ne dis pas ça. On va trouver un moyen. Il y a forcément un moyen.

Battements de cœur effrénés.
Totalement impossible à contrôler.
La vue de Baji n'en finissait de se brouiller, même si ses yeux tentaient de dériver entre la dépouille à leurs pieds et celui qui avait commis ce crime irréparable.

Mais les paroles, même désordonnées, de Keisuke ne semblaient pouvoir parvenir aux oreilles de son ami qui sonnait comme un vieux disque rayé, sur des phrases qui terrifiaient l'enfant que Baji était.
Alors des larmes se mirent à couler, énième symbole de cette panique qui leur serrait le cœur et bloquait leurs esprits.

— On va s'en sortir, on s'en sort toujours. On a qu'à appeler les urgence, expliquer ce qu'il s'est passé et-

Mais les gyrophares diffusant leur lumière caractéristique, accompagnés du son hurlant des sirènes n'étaient visiblement pas d'accord, les immobilisant de plus belle, les laissant douloureusement comprendre quel serait leur sort.
Ce qui aurait pu n'être qu'un vol était devenu un meurtre et malgré la bêtise qu'on lui reprochait souvent, Keisuke savait pertinemment que les choses ne feraient que s'empirer.

Baji ne savait pas de quoi serait composé le lendemain mais il était résolu à ne jamais, au grand jamais, laisser tomber son ami.

ASTÉRISMEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant