17 - La défaite des illusions (29 juillet 1990/19 décembre 1982)

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1990 – Joëlle venait de quitter la chambre où Vincent l'avait salie de son mépris. Il avait profité de sa position d'ex-petit ami en lui faisant croire que le feu renaissait entre eux. Son but inavoué avait clairement été de la sauter vite fait dans le dos de sa femme. Elle aurait pu se sentir coupable d'avoir vu dans cette amourette une possibilité de fuir loin de Georges, pourtant elle n'avait pas simulé les sentiments qu'elle avait ressentis pour Vincent. En fin de compte, elle avait été le dindon de la farce dans cette histoire et elle ne supportait pas l'idée de s'être fait avoir. D'autant plus qu'ils avaient un passif qui l'avait déjà mise dans une situation des plus précaires. Ses rencontres avec lui devaient-elles toujours se solder par l'impression qu'elle ne maitrisait pas son destin ?

1982 – C'était un dimanche froid de décembre, mais Jo s'obligeait à sortir pour promener son fils chaque jour de congé octroyé par son patron de l'hôtel du Paradis. Ne possédant pas de poussette, elle se servait d'une grande écharpe pour le caler contre son corps. Elle aimait sentir son petit souffle contre son cou. Sid était toujours calme quand il était contre sa mère, ce qui était plus reposant que de l'entendre brailler dans son petit lit dans le studio qu'elle occupait sous les toits. Enveloppés tous les deux dans son grand manteau d'hiver, ils se tenaient mutuellement chaud, son cœur tout contre le sien. Elle aimait flâner de rue en rue sans trop réfléchir à sa destination. Ce jour-là, ses pas la conduisirent sur la place de l'opéra.

1990 – Il lui avait donné de l'argent. Elle savait qu'il n'avait pas payé pour la relation consentie qu'ils avaient eue, mais cela l'avait tout de même ramenée à une époque qu'elle aurait voulu oublier. Quand il lui avait tendu les billets, elle s'était sentie souillée, bien plus profondément qu'au moment où il avait pris la liberté de lui mettre une fessée. Il s'était servi d'elle pour assouvir son plaisir animal. Elle n'avait été qu'une poupée de chiffon au bout de son pénis. À la façon dont il lui avait donné l'argent, elle se dit qu'il devait avoir recours régulièrement au service de prostitués. Ce geste il le maitrisait, elle en savait quelque chose.

1982 – Il y avait beaucoup de monde à discuter sur le parvis de l'opéra. Tous étaient vêtus d'habits de lumière. Les messieurs portaient leurs plus beaux costumes. Certains se pavanaient en smokings et étaient coiffés d'un haut de forme. Quant aux dames, elles arboraient leurs plus belles robes de soirée et leurs plus beaux bijoux. Depuis l'autre bout de la place, Jo pouvait voir les diamants scintiller sur les gorges de demoiselles en cape de velours. C'était volontairement une invitation au regard des hommes à plonger dans leur décolleté. De tout temps, les femmes avaient toujours su mettre en avant leurs atouts sans en avoir l'air. Un piège tellement grossier, mais qui fonctionnait à merveille. Jo était en train de rêver en les regardant quand elle comprit ce qu'elle était en train de regarder. Comment avait-elle pu oublier qu'elle avait été invitée au même évènement six ans plus tôt ? Ces personnes étaient la famille d'Evelyne et leurs amis.

1990 – Vincent avait fini de l'humilier en lui disant qu'il ne quitterait jamais sa femme. Elle avait été si naïve. Elle aurait dû se douter qu'il ne la choisirait pas. Evy lui avait apporté le prestige dû à son rang ainsi que sa fortune familiale. Monsieur Leroy avait été intronisé dans la noblesse française. Il y avait de grandes chances qu'Evelyne ait toujours le dernier mot sur toutes les décisions. Joëlle connaissait bien le caractère de son ancienne amie. Elle le dominait et c'était pour cela que Vincent trouvait du plaisir à maltraiter les femmes quand il les baisait. Il retrouvait cette part de virilité qu'elle lui enlevait dans des actes brutaux, tout comme Georges devait se sentir puissant quand il la battait.

1982 – Soudain, elle les vit. Elle reconnut d'abord Evy. Elle était resplendissante dans une magnifique robe longue en satin et dentelle bleu nuit. Jo ne l'avait pas vue depuis leur dispute en 1980. Elle constata qu'elle avait fini par rentrer dans le rang. Il semblait loin le temps où elle se colorait les cheveux pour embarrasser ses parents. Ses cheveux bruns étaient remontés en un chignon hautement travaillé orné de perles. Elle avait l'allure d'une princesse de conte de fées. Evy la punkette était réellement devenue Mademoiselle de Trémont, fille de l'aristocratie française. Alors que Joëlle l'admirait, son regard passa sur son cavalier. Elle eut le souffle coupé. Il était là. Sid. Celui qui lui avait juré un amour éternel se tenait au milieu de ces gens, souriant avec Evelyne à son bras.

1990 - Elle était en colère contre elle-même de s'être fait avoir. Il n'était plus le Sid qu'elle avait connu en 1981. Cet homme était mort quand il n'avait pas tenu ses belles promesses. Il lui avait déjà promis au début des années 80 de l'aimer jusqu'à la mort. Elle en venait à douter qu'il n'ait jamais existé un Vincent l'ayant véritablement aimée. Il l'avait dupée aujourd'hui tout comme il l'avait fait des années plus tôt avec la même femme. Leur monde ne lui était pas accessible. Elle l'avait compris trop tard à l'époque. Sid lui avait fait croire que leur différence de classe ne comptait pas et que leur amour pouvait être possible et pendant quelque temps, elle y avait cru. On s'était servi d'elle toute sa vie. Aujourd'hui, elle en avait plus qu'assez d'être celle qui se faisait avoir, celle qui se soumettait, celle dont on se servait. Elle n'avait plus de larmes, seule de la haine venait noircir son regard. Une haine qu'elle avait oublié avoir déjà ressentie pour lui. Elle avait été aveuglée par ses sentiments, elle recouvrait la vue. Il était temps qu'elle mette fin à cette boucle infernale qu'était sa vie.

1982 – Les gens commençaient à entrer dans l'opéra. Tout à coup, le regard d'Evelyne croisa celui de Joëlle. Elles restèrent quelques secondes à se regarder. Rien ne laissait transparaître une quelconque émotion chez l'aristocrate. Vincent n'eut pas le temps de s'intéresser à ce que regardait sa cavalière, car Evy lui tourna la tête et l'embrassa tout en continuant de fixer Jo. Une larme coula sur la joue de celle qui venait d'être bafouée. Elle n'irait plus au bal. On lui avait dit de partir. On l'avait forcée à quitter cet homme. Elle avait pensé que l'insubordination de Sid serait plus forte que sa résignation et qu'il lui reviendrait. Elle s'était trompée. Lui aussi était rentré dans le rang. Leur histoire n'avait été qu'une simple embardée sur la route que l'on avait tracée pour lui. Le manque qui s'empara de Joëlle à ce moment-là fit naître en elle un sentiment qu'elle n'aurait jamais cru ressentir à son égard ; de la haine. 

JoëlleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant